FRÉDÉRIC LARSIMONT
Bart Verhaeghe a fait fructifier son investissement depuis qu’il est arrivé à Bruges.Kris Van Exel
Le président brugeois Bart Verhaeghe et ses trois associés sont en en train de sonder le marché international afin de valoriser les 71,89 % des parts qu’ils co-détiennent next
Le signal a discrètement été donné voici quelques semaines lorsque le Conseil d’administration du Club Bruges a décidé d’ouvrir la porte à un coup de sonde. Sur le marché très étroit des sociétés spécialisées dans le rachat des clubs de sport professionnels de pointe, la nouvelle a vite fait le tour. Nos confrères néerlandophones de la chaîne de Sporza ont ainsi eu vent d’un document envoyé à différents lobbyistes et bureaux d’avocats internationaux où le message était clair. Et particulièrement l’extrait suivant : « Après une décennie de présidence, Bart Verhaeghe et le groupe de propriétaires sont prêts à se lancer dans d’autres activités que le football. »
Pas besoin de mettre en réseau les logiciels de décodage : le premier club du pays (5 titres, 1 Coupe de Belgique et 7 participations aux poules de Ligue des champions depuis 2013) est à vendre. Une information encore non confirmée du côté de Westkapelle, le prestigieux centre d’entraînement qui abrite également les bureaux de la direction brugeoise depuis trois ans. Mais en y laissant traîner une oreille, le doute n’est plus permis.
1
L’état des lieux depuis la reprise en 2011
Avec, à l’époque, la bénédiction de l’ancien président Michel D’Hooghe, Bart Verhaeghe avait intégré le Conseil d’administration de ce qui était encore une ASBL, gérée par Pol Jonckheere, un architecte local très vite voué à s’effacer. Place avait été faite à l’homme fort de UPlace, un des coming men flamands dans le secteur des investissements immobilier que l’on disait proche de Bart De Wever, lui aussi en pleine ascension politique.
Le rachat du Club par Verhaeghe au prix d’un passage de l’ASBL en une Société anonyme pour la somme de 15 millions avait été entaché de certaines zones d’ombre (non-prise en compte de la valeur comptable de la marque Club Bruges et encore moins de la valeur du noyau). Un rachat à la hussarde qui n’avait alors pas été jugé entaché d’illégalités malgré quelques ruades en interne, au point de déboucher sur le départ d’Ignace Van Doorselaere, l’ex-CEO du puissant groupe de lingerie Van de Velde).
Portée par la vague du succès, et notamment par un retour dans la durée en poules de Ligue des champions, la nouvelle direction avait projeté une entrée en bourse, via Euronext Bruxelles, le 26 mars 2021. Pour une valeur estimée dans un premier temps en interne à 400 millions mais finalement ramenée à 229 millions par les bureaux d’experts. La veille du jour J, Bart Verhaeghe lui-même était contraint, face au manque d’intérêt du marché, à retirer son projet.
Six mois plus tard, il officialisait en revanche la vente de 23, 26 % des parts du Club au fonds d’investissement américain Orkila Capitals. Un cheval de Troie, annonciateur d’une nouvelle politique de gestion moins émotionnelle, venait d’effectuer son entrée dans le stade Breydel.
2
Que représente la perspective de revente à des fonds américains ou du Golfe ?
La crise sanitaire et les derniers mouvements de la géopolitique mondiale ont bouleversé tous les marchés. Dont celui de la reprise des clubs puisque l’on sait que la Russie a été placée au ban des nations et que les fonds chinois ne peuvent plus que très difficilement sortir de leur territoire national. Deux des principales sources du transit financier dans le domaine du football ont donc vu leur robinet fermé. Les pays du Golfe persique ont d’autant mieux préservé leur position dominante qu’il y a eu une volonté de certains états (Qatar et Arabie Saoudite en tête) de s’acheter une image à coup de pétrodollars.
Comme tout le monde, les dirigeants du Bruges savent qu’il y a de l’argent à aller chercher de ce côté en cas de vente.
Mais ils lorgnent également les fonds d’investissement, principalement américains. Les franchises des principaux sports US étant devenues impayables, ils ciblent dès lors les actifs sous-évalués dans différents secteurs – et le sport en particulier – en multipliant les rachats de clubs européens au quart voire au cinquième des placements qu’ils entendaient effectuer au départ. Avec une logique purement comptable d’une mobilisation de capital sur une durée maximale de 5 à 7 ans. Le temps de générer des bénéfices et de passer à autre chose. On s’éloigne donc là quelque peu du phénomène des galaxies créées autour de plusieurs clubs par un même propriétaire (multiclubs ownership). Et dans lesquelles le principe des vases communicants favorise le flux continu de joueurs entre les diverses entités.
3
Pourquoi une vente
si soudaine ?
C’est la question à laquelle le président brugeois se garde encore de répondre pour le moment. Mais en prenant le temps de la réflexion, on en arrive à un constat très simple concernant son bilan, indissociable de celui de son CEO et bras droit, Vincent Mannaert : face aux échecs successifs de la BeNeliga, de la construction d’un nouveau stade, de l’arrimage au convoi des clubs européens les plus puissants ou encore de son emprise sur la Fédération et la Pro League, que pèse encore l’accumulation de titres sur le territoire national ?
Traduisez : le modèle tant vanté d’un Bayern Munich à la sauce carbonades flamandes-frites sera-t-il viable très longtemps ? Qui plus est compte tenu du risque de trou d’air où la dépendance aux millions de la Ligue des champions vient d’être mise à mal au travers d’une saison misérable et d’une qualification pour la très peu rémunératrice Conference League.
En cette fin de saison qui n’en finit plus de se traîner, Bart Verhaeghe et ses associés en sont probablement arrivés à la conclusion qu’avec des coûts qui augmentent (salaires, transferts) et des recettes qui plafonnent (pas de nouveaux débouchés sans stade, transferts qui ont atteint des chiffres maximaux, ticketing t merchandising étranglés), le temps était venu de ne pas risquer la grande bascule après avoir atteint le sommet de ce qui était réalisable. En un mot comme en cent : retirer la meilleure plus-value (de 200 à 240 millions) alors que l’investissement initial était, rappelons-le, plus que minime (15 millions).
Après le Standard (777 Partners) en avril 2022 et peut-être Gand (à vendre lui aussi) sous peu, Bruges s’apprête sans doute à passer sous pavillon étranger. Au sein du G5, il ne resterait plus qu’Anderlecht et l’Antwerp aux mains de grandes fortunes belges.
Tous les clubs belges sont « à vendre » !
JONAS BERNARD
prevnext
Dans le contexte économique actuel -250 millions d’euros perdus sur les cinq dernières années-, tous les clubs belges souffrent financièrement et sont, d’une certaine façon, à vendre. Même le FC Bruges, de loin le plus puissant du pays, n’échappe pas à la règle. À Zulte Waregem et Ostende, deux clubs relégués en Challenger Pro League cette saison, la situation est toutefois plus urgente, ce qui les différencie des autres comme Gand et Bruges, par exemple. Racheté en 2020 juste avant l’épidémie de Covid par le groupe Pacific Media Group, le club de la côte fait face à des problèmes financiers (sept millions d’euros de dette, une tribune louée à 800.000 euros l’année…) et attend désormais qu’un investisseur étranger se manifeste. Récemment, le Fonds d’Investissement Public Saoudien (PIF), qui possède le club de Newcastle en Premier League, s’est montré intéressé mais la gourmandise de PMG, qui demande douze millions d’euros pour racheter Ostende, aurait gelé les discussions.
À Gand, Ivan De Witte (président depuis 1999) et Michel Louwagie seraient, comme leurs homologues brugeois, prêts à passer la main. Le club n’est pas pressé et compte sur des arguments forts -un stade moderne, une équipe qui tourne dans le bon sens- pour convaincre d’éventuels repreneurs. Des investisseurs flamands auraient fait part de leur intérêt, mais feront-ils le poids face aux capitaux venus de l’extérieur ?
Car aujourd’hui, le football belge vit plus que jamais grâce à aux apports financiers venus de l’étranger. Car notre championnat est considéré comme un tremplin vers les plus grandes ligues européennes et il n’est pas rare de voir l’un ou l’autre talent éclore chez nous. La montée en première division du RWDM, géré par l’Américain John Textor, n’a fait que renforcer le pourcentage de clubs belges aux mains d’investisseurs étranger : du Standard (USA) en passant par Westerlo (Turquie), Louvain, (Thaïlande), l’Union (Angleterre), Courtrai (Malaisie), Eupen (Qatar), Saint-Trond (Japon) et bien d’autres, en D1 et en D2…