De la D4 française et un boulot de chauffeur-livreur à la D1A avec l’Union, Teddy Teuma a fait du chemin. Entretien avec un capitaine qui n’a qu’un mot à la bouche: gagner.
48 ans après l’avoir quittée, l’Union est sur le point de retrouver l’élite, avec un déplacement chez le voisin anderlechtois pour débuter les hostilités. Débarqué au Parc Duden début 2019, Teddy Teuma fait déjà figure d’ancien au sein du club saint-gillois. Et comme la plupart de ses coéquipiers, il s’apprête à évoluer au sein de l’élite pour la première fois. “C’est beaucoup de fierté”, avance directement le Franco-Maltais. “Jouer en D1, ça reste quelque chose d’important. Après, le plus important, c’est d’y rester. Mais c’est une grande fierté de découvrir ce niveau, ces équipes. Parce que même si le championnat belge a tendance à être sous-côté, ça reste une compétition de très haut niveau et c’est très valorisant.”
C’est d’autant plus vrai que tu as eu un parcours atypique: tu n’es pas passé par un centre de formation et tu as même travaillé un an comme chauffeur-livreur.
TEDDY TEUMA: À 17-18 ans, j’ai arrêté mes études et pour moi, ce n’était pas concevable de rester à la maison à ne rien faire. Je jouais au foot, au Hyères FC en quatrième division. J’avais intégré l’équipe A vers 17 ans et j’avais un petit salaire, mais ce n’était pas suffisant pour me lancer dans la vie. J’ai profité de l’aide de mon père, qui est chef d’entreprise, pour me trouver un petit job de chauffeur-livreur. J’avais déjà connu plusieurs échecs et je pensais un peu mettre ma carrière dans le foot de côté. Au final, c’est à ce moment-là que j’ai eu l’opportunité de signer un contrat en troisième division, à Boulogne-sur-Mer, ce qui a lancé ma carrière.
Ce n’est pas si courant, dans le foot pro, d’avoir des joueurs qui ont exercé un autre métier.
TEUMA: Non, c’est vrai. En fait, j’ai eu un coach par le passé qui était assez vieux jeu et c’est lui qui m’avait conseillé d’aller travailler. Moi, je trouvais ça bizarre parce qu’en plus c’était un travail de nuit et j’allais être fatigué. Mais lui partait du principe que ça allait m’amener la maturité qui me manquait pour passer un cap. Et ça a a été le cas.
Après Boulogne, tu es passé par le Red Star avant d’atterrir à l’Union, en 2019. Te voilà maintenant en D1A, que peut-on attendre de vous? Quels sont les objectifs?
TEUMA: Il y a une phrase qui dit: “Ne limite pas tes défis, défie tes limites”. Je pars du principe qu’on peut toujours viser plus haut. En gardant la tête sur les épaules bien sûr, on ne va pas gagner la Ligue des Champions. La priorité, c’est de se maintenir le plus rapidement possible. On est en D1A, c’est pour y rester. J’ai la chance d’être dans un club ambitieux, avec beaucoup de valeurs. Il faut se baser là-dessus pour construire un beau projet. Cette année, on veut découvrir le championnat, se maintenir au plus vite et surtout ne pas se fixer de limites.
Par rapport à tes saisons précédentes, où l’Union terminait chaque fois juste derrière les promus, l’équipe de l’année passée était plus forte? Ou juste la concurrence plus faible?
TEUMA: En termes de qualités, on n’était pas plus forts. Mais Mazzù a réussi à créer une cohésion de groupe, une vraie équipe. Avant, on avait énormément d’individualités avec d’énormes qualités, mais par moment, il manquait ce collectif qui fait la force d’une équipe. Ce qui est vrai, c’est que des clubs comme Virton ou Roulers n’étaient plus là. On a récupéré des clubs peut-être un peu moins forts, comme le Lierse. Mais on s’est aussi retrouvé avec Seraing, qui maintenant est en D1A. Le niveau global a sans doute baissé, mais tout ce qu’on a fait, ce n’est pas anodin. En début de saison, on se demandait qui de Westerlo ou nous allait remporter le titre et finalement, on a survolé le championnat. Parce qu’on avait les qualités pour être au-dessus du lot et qu’on a notre place en D1A.
La saison dernière, vous étiez systématiquement favoris à l’entame d’un match. Ça va être différent maintenant. Comment est-ce que le groupe appréhende ça?
TEUMA: Honnêtement, je dirais qu’en toute humilité, l’année dernière, à aucun moment on n’a commencé un match en se disant qu’on n’allait pas le gagner. C’est ma mentalité, je suis le capitaine de cette équipe et je veux gagner tous les matches: que ce soit Bruges ou le Lierse, je veux gagner. Je ne changerai pas ma philosophie et on va en D1A pour gagner.
Vous allez disputer votre première rencontre à Anderlecht. Par rapport à l’année passée, ce n’est pas un bon souvenir…
TEUMA: ( Il coupe) Ce n’est pas un bon souvenir, mais par rapport à il y a deux-trois ans, c’est un bon souvenir ( l’Union a éliminé Anderlecht en Coupe en 2018, ndlr), donc je dirais un partout, balle au centre ( Il sourit).
Est-ce que la saison dernière en Coupe, vous ne vous êtes pas montrés un peu trop naïfs dans ce match contre Anderlecht?
TEUMA: Avec du recul, on l’a peut-être été. À 0-2, on aurait peut-être dû se dire: “Maintenant, on ferme la boutique”. C’est peut-être une erreur de jeunesse. On avait très peu connu la défaite, on a souvent remonté des matches un peu fous. Sauf que là, en face, ce n’était pas les mêmes adversaires. Anderlecht, c’était le club du moment. On est partis un peu trop à l’abordage et on l’a payé cash. En termes de contenu, c’est triste de dire ça parce qu’on perd 0-5, mais on fait un bon match. C’est frustrant d’en avoir pris cinq, mais ça a été une bonne leçon: face aux grandes équipes, aux grands joueurs, chaque détail compte. Et les petites erreurs qu’on se permettait en D1B, où l’occasion adverse finissait à côté, là, on l’a payé cash.
Vous avez un calendrier relativement compliqué avec d’abord Anderlecht et le Club Bruges, puis encore le Standard et Genk qui arrivent un peu après. Quelle a été ta réaction en le découvrant?
TEUMA: La première réaction c’est: “On n’a pas de chance”. Mais de toute façon, on va devoir y passer, c’est des équipes qu’on devait affronter tôt ou tard. Certains diront que c’est mieux de les affronter dès le début, qu’ils ne seront pas encore prêts. Certains diront que c’est mieux en saison, qu’ils seront fatigués. On sait qu’on ne va pas gagner tous nos matches, on va avoir des moments difficiles, c’est une certitude. Le plus important, c’est de garder notre collectif et de se donner au maximum. Si on finit quinzièmes en ayant tout donné, eh bien ce sera quinzièmes. Si on termine huitièmes, ce sera magnifique, mais dans tous les cas, le plus important, c’est de ne pas avoir de regrets.
Vous avez livré une bonne préparation. Ça donne le ton d’une saison ou il ne faut pas trop s’y attarder?
TEUMA: Ça peut être trompeur. Beaucoup d’équipes qu’on affronte peuvent ne pas encore avoir leur noyau complètement constitué et l’intensité n’est pas la même, donc je n’aime pas trop qu’on s’enflamme. “Ils ont battu Zulte 0-4, ils vont les rouster en championnat.” Non, je suis sûr et certain qu’on ne gagnera pas 0-4 à Zulte, même si je l’espère, mais ce ne sera pas le même match. Mais pour la confiance, c’est très bien. C’est toujours mieux de gagner, on est moins fatigués après une victoire. On garde de toute façon notre philosophie, qui est de jouer chaque match pour le gagner.
Tu as marqué le but de la victoire en amical contre Lens (0-1). Tu es particulièrement attentif à tes stats?
TEUMA: Je ne me fixe pas là-dessus. Je suis milieu de terrain, le plus important, ça reste mon contenu. Si on regarde au plus haut niveau, un Verratti est très peu décisif, mais c’est un des meilleurs milieux de terrain au monde. Je ne me compare évidemment pas à lui, mais je serais plus dans ce registre-là. Toucher beaucoup de ballons, en perdre le moins possible. Et si, cerise sur le gâteau, je peux être décisif, je ne vais pas cracher dessus, mais ce n’est pas ma priorité.
Tu es capitaine depuis un an et demi, comment abordes-tu ce rôle?
TEUMA: Ça fait partie de moi, j’ai toujours été capitaine dans les équipes de jeunes. Ça a toujours été dans ma mentalité de pousser les gens, d’encourager, de parler, d’avoir un rôle de leader. Du coup, le brassard vient à moi tout seul. C’est quelque chose qui me permet aussi de contrôler mes émotions, de me dire que j’ai un rôle important et que je me dois d’être au niveau. Plus j’ai de responsabilités, meilleur je suis.
Vous avez des joueurs qui viennent de différents horizons, comment gères-tu ça en termes de communication?
TEUMA: Au début, c’était très compliqué parce que je ne parlais pas anglais. J’ai pris des cours, j’en prends toujours. On a la chance que tous les étrangers parlent anglais, à part nous, les Français qui sommes têtus et qui ne parlons que le français. En tant que capitaine, c’est hyper important qu’il n’y ait pas de différences, que je parle avec tout le monde. Ça me sert à l’Union, mais ça me sert aussi quand je vais en équipe nationale maltaise ( voir encadré). Ça fait un an que je fais un gros travail là-dessus.
À part Matthias Fixelles, tous les cadres de la saison dernière sont restés. Tu as craint des départs? Un gars comme Dante Vanzeir s’est particulièrement mis en évidence.
TEUMA: Honnêtement, sans langue de bois, je savais que si l’Union voulait le garder, il resterait. C’est un club qui a des ambitions, des projets. Si tu as de réelles ambitions, tu gardes tes meilleurs joueurs. Si on regarde au top niveau, un club comme le PSG ne vend pas, il prolonge ses meilleurs joueurs et il se renforce. Un club comme Dortmund va rechercher de bons joueurs pour les revendre plus chers. Ce n’est pas le même projet. L’Union, ça reste l’Union, mais c’est cette philosophie-là: on de bons joueurs, on les garde et on se renforce.
Ça nécessite une certaine assise financière.
TEUMA: Oui, c’est évident. Il y a Brighton derrière, donc ça aide. Casper Nielsen vient de prolonger, ce n’est pas anodin. C’est un joueur cadre de cette équipe. L’année passée, j’ai prolongé mon contrat de quatre ans alors qu’il m’en restait encore deux. Ils prennent les devants. “Tu es notre capitaine, tu es un joueur important, on te prolonge sur la durée.” Par contre, l’inverse est vrai aussi. On l’a vu avec Fixelles: quand ils ne veulent pas vous garder, ils ne vous gardent pas.
Toi-même, tu as déjà pensé aller voir ailleurs?
TEUMA: Je n’ai jamais caché que j’avais beaucoup d’ambitions. Mais je suis extrêmement bien ici: ma famille se sent bien, je gagne bien ma vie, je suis capitaine, on est en D1A, je crois énormément au projet. Si à un moment donné ce n’est plus le cas, j’ouvrirai certaines portes. Mais pour le moment, avec l’Union, on tire dans le même sens, donc même si on venait toquer à ma porte, je ne prendrais pas le risque de changer de chemin.
Comment as-tu vécu cette période sans supporter? C’était assez paradoxal pour ceux de l’Union. Le club faisait sa meilleure saison depuis des décennies, mais ils n’étaient pas là.
TEUMA: C’est vraiment dommage pour eux. Nous, sur le terrain, ça a eu un impact parce qu’on avait l’impression de ne jouer que des matches de préparation. Il n’y avait pas un bruit, c’était horrible. Le foot, ça reste du spectacle, on a besoin d’ambiance. Nous, on est les acteurs, mais on a besoin des supporters, ils font partie du truc. Même la “célébration” du titre a été frustrante. On a eu le droit de fêter ça de 22 à 23 heures, puis c’était tout. Mais j’espère qu’on va se rattraper cette saison avec beaucoup de victoires à célébrer tous ensemble.
Depuis septembre dernier, tu es international maltais. Qu’est-ce qui t’a motivé?
TEDDY TEUMA: Être international, c’est un pur kiff pour n’importe quel joueur. Ils m’ont contacté, ils m’ont dit que j’avais des origines maltaises. Moi, je n’étais pas au courant: j’ai demandé à mon grand-père qui m’a confirmé que son grand-père à lui était Maltais. J’ai compris que c’était sérieux et on a entamé les démarches. Apparemment, ça faisait un petit temps qu’ils essayaient de me contacter, sans succès.
Quels sont les objectifs de Malte?
TEUMA: C’est de continuer à progresser. Ils essaient d’amener d’autres joueurs comme moi, qui ont la double nationalité et qui jouent dans des championnats plus compétitifs que celui de Malte. L’idée, c’est de monter dans le classement FIFA et de montrer que Malte, ce n’est pas la nation qui perd tout le temps. On peut gagner un match, on peut accrocher un nul. On a fait 2-2 contre la Slovaquie, qui était à l’EURO.
Ça t’a déjà permis de jouer contre des joueurs qui t’ont impressionnés?
TEUMA: On a joué contre la Croatie de Luka Modric. Pouvoir jouer contre lui, contre Ivan Perisic, contre Mateo Kovacic… Au final, on a perdu 3-0, mais bon… À la fin du match, j’ai parlé à Modric, j’ai échangé mon maillot avec lui. La sensation que j’ai vécue à ce moment-là, je n’aurais jamais pensé pouvoir la vivre un jour. Jouer face à un Ballon d’Or, avoir le maillot d’un Ballon d’Or, me faire tacler par un Ballon d’Or… Ce sont des moments magiques et je suis hyper fier d’avoir rejoint Malte et d’essayer d’aider l’équipe.