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L’INVITÉ DU SAMEDI 
L’INVITÉ DU SAMEDI 

« J’avais 14 ans… Un jean et   ont changé ma vie »   un pull à 5 francs  

L’histoire de Felice Mazzù repose sur des origines modestes et une adhésion aux valeurs de ses parents. Il n’a pas oublié les mots de son père : « Fiston, quand tu vas boire un verre avec un copain, si tu as 5 francs en poche et si lui en a 100, c’est toi qui payes ! »  

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C’est une histoire peu ordinaire. Celle d’un fils de mineur calabrais aux origines très modestes, devenu en quelques mois le Père Noël du football professionnel, et qui fait aujourd’hui souffler un surprenant vent de fraîcheur sur une société désenchantée car touchée de plein fouet par la crise sanitaire et le marasme économique. C’est l’histoire de Felice Mazzù, l’entraîneur de l’Union Saint-Gilloise, en train d’écrire l’une des plus incroyables pages de l’histoire du sport belge. Le natif de Charleroi nous a raconté son parcours.

Je ne serais pas devenu qui je suis si…

Si je n’avais pas rencontré deux personnes qui ont été très importantes dans l’évolution de ma carrière. La première, c’est Jacques Urbain. Il a été mon prof pendant mon cursus et mon diplôme d’entraîneur à l’UEFA. Tout a commencé avec lui. J’ai été son élève, et il m’a pris avec lui comme adjoint parce que je venais du CS Nivellois, où j’entraînais des gamins de 8 ans. C’était ma première expérience dans un vestiaire seniors, en promotion à Marchienne-au-Pont. C’est lui qui m’a fait confiance.La seconde balise, c’est Louis Derwa. C’est lui qui m’a permis d’avoir cette chance de me libérer et d’entraîner seul. Il est aujourd’hui mon avocat. A l’époque, il était devenu le président de Braine-l’Alleud, le CS Brainois, puis le directeur technique et sportif de l’AFC Tubize en D2, avec Philippe Saint-Jean, puis sous les ordres d’Albert Cartier en D1. C’est lui qui m’a placé à un poste, d’abord de directeur des jeunes à Tubize, puis d’adjoint de Saint-Jean, avec qui on a accédé à l’élite. Puis, j’ai été le T2 (entraîneur adjoint) d’Albert Cartier. On est redescendus en D2 et c’est là que ma grande aventure comme entraîneur professionnel a commencé, puisque j’ai repris l’équipe.

C’est étonnant de commencer très jeune comme entraîneur…

En fait, je n’étais pas prédestiné à la carrière d’entraîneur, au départ. Mais comme j’étais un très mauvais joueur, j’ai dû arrêter très tôt. J’ai joué en réserve au Sporting Charleroi, puis en première provinciale. Par rapport à mes ambitions, il y avait une déception. A l’époque, j’étais prof d’éducation physique, je donnais des cours de gym, de natation, et c’est à Nivelles que j’ai vraiment trouvé ma vocation à entraîner des gamins. L’amour a ensuite grandi dans la fonction d’entraîneur. J’ai alors décidé de suivre des cours à l’école des entraîneurs pour apprendre. Parce que j’ai démarré à zéro et qu’il le fallait si je souhaitais progresser.

Le football, c’était quoi, dans l’enfance ?

Avec mes potes de l’école ou ceux avec qui je jouais devant l’église, à cinquante mètres de chez mes parents, on était toujours là, ensemble. Eux jouaient au Sporting Charleroi. Le stade était à 500 m de la maison de papa et maman. Mais moi, avant de pouvoir aller au foot, je devais terminer mon catéchisme et faire mes deux communions. J’avais cathé deux fois par semaine… ça m’empêchait d’aller aux entraînements. D’autant que mes parents m’avaient inscrit au consulat d’Italie pour apprendre l’italien. Car à la maison, on parlait le dialecte calabrais. Mes parents n’étaient jamais allés à l’école. Enfin, ma maman, un peu. Quand tout a été fini, le catéchisme et les cours d’italien, je me suis finalement inscrit au Sporting. J’avais 12 ans, et j’ai joué jusqu’à 19, au moment de rentrer à l’unif. Avec mes cours de prof de gym, ma musculature a commencé à changer.

Qui étaient vos parents ?

Tous deux venaient de la Calabre. Mon papa, c’était du côté de la mer Méditerranée, et ma maman, du côté de la mer Ionienne. Mon papa a vécu dans la zone la plus pauvre d’Italie. C’est une vie dans les champs. Là-bas, pas de travail, pas d’école, pas de magasins. Rien ! Il vivait à Scido, un vieux village où maintenant il n’y a plus personne. Les vieux sont décédés les uns après les autres. Mon papa a toujours la maison de ses parents, mais ce n’est même pas une maison, c’est une grange en ruine. Scido, c’était mystérieux, en face de la montagne où se cachait la mafia calabraise, la ’Ndrangheta. Le grand chef mafieux vivait sur les hauteurs. C’était chaud. Mon papa a vu des gens tués devant lui.Quand il fallait aller acheter du pain, papa devait parcourir 2 km. Il faisait tout à pied. C’était une vie d’agriculture. Il chapardait ici et là des fruits. C’était une jeunesse très, très pauvre. Ils ne mangeaient que du pain et des tomates. Tous les jours, sauf quand ils avaient la chance de pouvoir manger un animal. Là, c’était le festin. Du côté de ma mère, c’était tout autre chose. Maman vivait dans un des plus beaux villages d’Italie, si pas le plus beau, à Gerace. Elle faisait partie d’une famille ordinaire. Son père avait des champs à lui, et une ou deux maisons. C’était les classes moyennes en quelque sorte. Maman a fait des études et avait une vie tout à fait normale.

Comment se sont-ils rencontrés ?

Un des frères de ma maman s’était marié avec une des sœurs de mon papa. Mes parents ont commencé à se fréquenter comme ça. Ce qui se passe alors, c’est qu’à 18 ans, papa pensait – comme la majorité des Italiens – qu’en s’expatriant, il allait trouver la fortune. C’est là qu’il est parti en Belgique, dans le Pays noir carolo, avec une valise et 500 francs belges en poche. En arrivant, on lui a dit : « Voilà, il y a du travail, tu vas à la mine ou tu retournes en Italie. » Il a choisi de travailler à la mine. Son frère, qui était déjà là et travaillait dans un cinéma, l’a fait venir. Voilà, pour la fortune. Pour pouvoir se retrouver, mes parents ont dû se marier. Avec la mentalité italienne de l’époque, une fille ne pouvait pas quitter la maison si elle n’était pas mariée. Et mon papa ne pouvait pas rentrer en Italie pour se marier parce que s’il partait, il perdait son boulot. Alors ils se sont mariés par procuration. Maman est allée à l’église au bras de son frère… comme si c’était mon papa. Ils ont signé l’acte officiel, avec son nom. Et une fois qu’ils étaient mariés, maman a pu embarquer dans un train à destination de la Belgique. Ils ont habité quelques années dans les cabanons de mineurs, jusqu’au moment où mon père est arrivé à mettre de l’argent de côté et à acheter sa maison.

C’était un déchirement, pour la maman, cet exil ?

Maintenant qu’elle n’est plus là, puisqu’elle est partie il y a quelques mois ; je suis quasiment certain qu’elle n’a pas eu une vie heureuse. Elle attendait autre chose, elle qui avait un minimum de culture… elle aurait bien voulu faire des études d’infirmière. Mon père n’a pas voulu parce qu’il travaillait et que les enfants sont arrivés : mon frère, moi, puis ma sœur. Il fallait nous élever. Je crois qu’il lui a manqué quelque chose. Voilà d’où je viens. Je suis allé là-bas, en Calabre, la première fois, à l’âge de 9 ou 10 ans. C’était un grand voyage de 48 heures, dans un train en bois. J’y suis retourné vers 25 ans. Depuis que je me suis marié avec Julie et depuis qu’on a eu nos deux enfants, je n’ai plus jamais eu l’occasion de repartir là-bas. C’est un grand manque.

Que vous ont appris vos parents en termes de valeurs ?

Tout ! La plus importante d’entre elles, c’est le rapport à l’argent. Parce qu’on n’en avait pas beaucoup. Mon père, qui était seul à travailler, a passé sa vie à retaper la vieille maison, qu’il avait achetée pour 400.000 francs (10.000 euros). On mangeait super bien. Mais j’ai dû attendre ma troisième secondaire pour qu’on commence à ne plus se moquer de moi dans ma façon de m’habiller. Jusque-là, j’avais des pantalons à patte d’éléphant. Mon papa achetait des vêtements d’occasion au marché, pour cinq francs. Pour moi, ce n’était pas évident à gérer. Et à 14 ans, j’ai eu droit à un jean et un pull en V, en vert sapin. Je crois que je suis resté avec ces vêtements-là pendant deux mois. Et c’est à ce moment que j’ai connu la première fille, volé mon premier baiser. Ça veut dire quoi ? Que j’avais confiance en moi. Au fond, j’ai démarré ma vie avec ce jean et ce pull.Il y a autre chose qui m’a marqué. Quand j’étais adolescent, et vu qu’on n’avait pas beaucoup de moyens, mon père m’a dit un jour : « Fiston, quand tu vas boire un verre avec un copain, si toi tu as cinq francs en poche et si lui en a cent, c’est toi qui payes ! » Autrement dit : tu ne dois rien à personne et tu ne devras jamais rien à personne ! Dans cette phrase-là, il y avait comme une leçon de dignité. La valeur de la vie, de l’argent, des choses. J’ai construit toute ma petite existence là-dessus : ne rien devoir aux autres.La plus belle chose dont j’ai hérité d’eux, c’est l’honnêteté et la fidélité. J’entraînais au White Star et le Standard voulait venir me chercher, mais ce n’était pas possible : je m’étais engagé, j’avais donné ma parole. C’est arrivé encore après, d’autres fois. Mais par fidélité et par rapport aux valeurs, je me suis refusé à franchir le pas de trop. Et a contrario, le manque de loyauté me rend très triste, me fait mal. Parce que je suis quelqu’un qui donne énormément sur l’aspect humain. Je fonctionne comme ça. Je m’investis trop. Mais si je ne marche pas comme ça, j’ai un manque.Le 25 e joueur de mon noyau, celui qui n’est pas sélectionné, ça me fait mal s’il ne sait pas pourquoi. Si je n’arrive pas à lui expliquer. Je me mets à sa place et je sais qu’il peut prendre ça comme une blessure. Je suis comme ça. C’est ce qui s’est passé avec Dante Vanzeir. A Genk, j’ai vite compris qu’il n’aurait pas sa chance. Je le lui ai dit. Mais je lui ai dit aussi : « Si un jour j’ai un autre challenge et que ce challenge rentre dans ton profil, dans tes qualités, tu es le premier à qui je téléphonerai. » Et c’est ce qui est arrivé à l’Union. Il a été le premier à recevoir un coup de fil.

Qu’aimeriez-vous transmettre de vous ?

Que l’on soit convaincu que je ne suis pas un tricheur, que je suis quelqu’un de naturel. J’aime être avec les gens. J’aime que les gens m’aiment bien. Je suis comme ça. Ce n’est pas du cinéma, ça. A Genk, là, j’ai été un autre personnage, celui qui est sérieux et qui ne peut pas boire une bière avec ses joueurs. Pour finir par constater que je n’étais pas moi.

On apprend quoi d’un échec comme celui vécu à Genk ?

C’est très enrichissant, dans l’apprentissage et le développement de ma personnalité. Je peux dire aujourd’hui que c’est grâce à cet échec dans le Limbourg que je suis devenu Felice Mazzù. Ce que j’ai compris ? Que la chose la plus importante dans la vie, quel que soit le milieu dans lequel tu es, c’est que tu dois pouvoir être toi-même.

Comment votre père a-t-il vécu votre échec à Genk ? Et vos succès d’aujourd’hui ?

Papa est quelqu’un de très réservé, qui a une très grande fierté. Il ne m’a jamais parlé de mon limogeage à Genk. Enfin, si… il m’en parle maintenant un peu, à 89 ans. Quand c’est arrivé, mes parents me disaient : « Fiston, tu ne retournerais pas enseigner à l’école ? Ta place est assurée… » On est des pudiques, dans la famille.

UNION 

« Avec le respect   et la confiance, tu peux tout faire »  

 N.CE ET FR.L.prev

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La Belgique s’est attachée à la belle histoire de l’Union, dont on craint qu’elle soit fragile, comme une parenthèse enchantée dans un monde dur…

Je vois déjà que certains essaient d’abîmer cette belle histoire. Dans un journal concurrent, je lisais récemment : si l’Union devient champion, c’est magnifique sportivement, mais c’est une catastrophe pour le football belge. Sans doute à cause du coefficient belge à l’UEFA.On est sympas, à l’Union, parce qu’on a un public extraordinaire, parce que le stade ne ressemble à aucun stade de Belgique, parce que tu as les cafés partout dans la rue, juste quand tu sors du stade, avant ou après le match. Avec un sandwich boudin et une chope à un euro au café d’en face. Tu ne sais pas te garer, à l’Union. Pas de parking. Pas de business seats. Si on avait un carré VIP comme à Charleroi ou à Anderlecht, on aurait des millions qui seraient rentrés dans les caisses du club. Nous, on a une salle où tu peux mettre vingt personnes.Tout cela, ça rappelle le foot du dimanche après-midi, chaleureux et bon enfant, où tu viens avec tes gamins. Et je n’oublie pas que ma femme, en revenant un jour avec les enfants d’un autre stade où ça s’était mal passé dans le public, m’avait dit : « plus jamais ». En fait, tu viens au parc Duden pour t’amuser. Tu as d’ailleurs plein d’étudiants qui assistent aux matches, chantent, dansent. Et qui respectent l’adversaire. Deux fois, on a été menés chez nous, cette saison, et pendant la mi-temps, je n’ai entendu que des chants, que des sauts, que des danses, que des encouragements. Jamais un sifflet ou un quolibet. Aucune énergie négative. Du coup, cela te porte. Tout le monde est serein ici. Bon, on vient de la D2, et tout ce qui nous arrive est forcément cadeau… Mais quand on revient contre le Cercle de Bruges, qui mène 0-2, ce sont ces gars des tribunes qui nous portent. Au stade Marien, tu n’as qu’une tribune couverte, tout le reste est ouvert au vent et aux intempéries. Tu as des herbes entre les sièges. Ça a un côté charmant. Après, on est agréables à voir jouer. Dans la grande majorité des cas, pas toujours. (Sourire.) Je pense surtout qu’on donne un coup de fraîcheur par rapport au tremblement de terre qui existe dans le milieu, avec le Footbelgate, le foot fric, le pognon qui se perd mais pas pour tout le monde. Je pense que les gens ont envie de revoir du foot pour le foot. Et l’Union représente peut-être ça avec son petit côté vieillot mais charmant.

Avec vous, on découvre que le métier d’entraîneur tient de la thérapie de groupe…

Le plus important, dans ce job, c’est justement cette thérapie de groupe, ce management. Les entraînements, la tactique, bien sûr, c’est important. Mais pour moi, tu peux gagner un match sans être meilleur que l’adversaire. Parce qu’il y a l’envie, la mentalité. Parce que tu as d’autres valeurs que les datas. Or, le foot est en train de se robotiser. On est dans les statistiques, tout le temps. Alors que le plus important, c’est l’aspect humain. Et nous ici, à l’Union, on a la chance d’avoir des experts en ce domaine. Des gens qui prennent le temps d’aller voir les joueurs à l’entraînement, en match, et de connaître leur vie. C’est pour ça qu’aujourd’hui, on a un groupe de joueurs qui viennent tous du niveau inférieur et qui correspondent, en termes de valeurs et de mentalité, au niveau de la D1.

Dans votre parcours d’entraîneur, vous avez connu plusieurs fois ce que vous appelez des groupes d’exception : au CS Brainois, au White Star, à Charleroi et aujourd’hui à l’Union. Comment créer ces conditions ?

La première condition, c’est que quand le groupe te voit débarquer, il faut qu’il croie en toi. Après, c’est à toi à faire tes preuves et à leur montrer qu’ils ont raison de te faire confiance. C’est ce qui n’est jamais arrivé à Genk. Quand je suis arrivé là-bas, pas grand monde ne croyait en moi et l’énergie négative s’est installée directement. La deuxième condition, c’est de témoigner à chaque joueur un énorme respect. Diriger un groupe, ce n’est pas de la dictature. On ne peut pas monopoliser l’attention sur soi. Ce n’est pas grâce à toi. C’est grâce à tout le monde. Et c’est toujours de cette manière-là que ça a marché pour moi, au niveau provincial, national, amateur ou professionnel. Dès que tu montres que tu as du respect et que tu as le sens du partage, c’est positif. Au lieu de dire à ton capitaine : « On change le système ce week-end, et c’est comme ça », tu vas vers lui et tu le consultes : « Qu’est-ce que tu penses si on change de système, ce week-end ? » « Vois un peu avec les gars… » Aujourd’hui, j’ai un groupe extraordinaire, à l’Union, qui a compris que les choses viennent du ventre, avec des émotions vraies et peu importe que je parle en français, en anglais, en espagnol… ou parfois tout mêlé, quand je leur dis, par exemple : « Hey les gars, move your corones ! » Et ils rigolent… Que ce soit dans mon passage à Braine-l’Alleud, au White Star, à Charleroi et aujourd’hui à l’Union, quand tu as du respect et de la connexion, tu peux tout faire. C’est parfois plus difficile quand, comme moi, tu vas boire des verres avec les joueurs et que le lendemain certains sont sur le banc. Mais c’est mon profil, et j’ai besoin de ça.

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