Sensation du début de saison, le visage rafraîchissant du promu bruxellois a surtout les traits d’un projet puissant et ambitieux. L’Union est revenue pour durer, avec un regard résolument tourné vers l’avenir. Visite guidée de la fusée saint-gilloise, parée à décoller toujours plus haut.
Le Saint-Gillois cultive visiblement l’effet de surprise. Pour livrer les recettes de leur succès, l’Union et ses hommes forts donnent rendez-vous au coeur de la province d’Anvers, à une cinquantaine de kilomètres de leur légendaire Parc Duden. La Nationale 14 qui relie Malines à Lier ne donne jamais l’impression de dissimuler le centre d’entraînement d’une entité en plein décollage sportif, d’un parking sommaire en gravier à une longue quête de l’entrée unioniste entre des courts de tennis en terre battue et des terrains de padel surchargés. Il suffit pourtant de pousser la porte pour prendre l’ampleur du projet en plein visage.
“Honnêtement, quand on te propose d’entraîner en D1B alors que tu viens de passer six saisons et demie au sein de l’élite, tu te prépares en te disant que tu vivras des moments différents”, se souvient Felice Mazzù depuis un coin salon disposé à l’étage supérieur de l’imposant hall d’entrée. Au milieu des odeurs dégagées par des bâtons de parfum d’ambiance, l’ancien mentor des Zèbres a toujours le regard de la première fois quand il évoque la qualité des installations unionistes à Lier. “Quand je suis arrivé ici, qu’on m’a fait visiter les infrastructures d’entraînement comme on le fait toujours avec un nouveau joueur, je me suis rendu compte que le seul véritable changement, ce serait une lettre. Un B à la place du A. Parce que c’était vraiment la Division 1.”
Une salle dédiée à l’analyse vidéo, de vastes bureaux qui rassemblent tout le personnel, une impressionnante salle de fitness et même des chambres. “Rien qu’à voir le centre d’entraînement, on sent une puissance qui se dégage du club”, résume Guillaume François, arrivé au club à l’été 2020 dans le sillage de son ancien mentor dans le Pays Noir. Une manière de rappeler que si le début de saison en trombe des Bruxellois pour leur retour au sein de l’élite en étonne certains, la surprise n’est pas aussi grande chez les héros du stade Marien, lancés dans une aventure à long terme qui ne compte pas s’arrêter de sitôt. “Déjà en allant chercher le coach Mazzù l’année dernière, alors qu’on était encore en D1B, le club montrait clairement son ambition”, poursuit celui qui arpente le couloir droit du 3-5-2 unioniste.
Pour Philippe Bormans, CEO des Saint-Gillois depuis tout juste trois ans, l’arrivée de l’entraîneur de l’année 2017 au Parc Duden n’est pourtant un changement de statut qu’aux yeux du monde extérieur. “Il ne faut pas oublier qu’avant ça, on a une première saison où on fait une demi-finale de Coupe en battant Anderlecht et Genk”, rappelle l’ancien de Saint-Trond grâce à la magie du Bluetooth à l’occasion d’un trajet matinal propice à libérer un créneau dans son emploi du temps surchargé. “La saison suivante, on a perdu nos trois attaquants et notre coach très tard dans la préparation, donc c’est seulement la troisième année que tout a fini par bien s’assembler.”
Aux manettes du puzzle, il y a donc un coach désormais rompu aux duels de l’élite. “On ne l’a pas pris pour son nom, mais pour sa personnalité”, nuance pourtant Bormans. Un verdict confirmé par Chris O’Loughlin, également ex-Trudonnaire et propriétaire du costume de directeur sportif. Depuis son bureau où trônent des maillots comme on expose des trophées, le Nord-Irlandais se souvient de ses duels depuis le banc de touche face au Sambrien: “J’ai pu expérimenter, en affrontant Felice, la très bonne organisation qu’il est capable d’installer sur un terrain. Mais si je devais ressortir une qualité qui me plaît chez lui, je dirais que sa grande force est de former une équipe. Il a eu entre les mains des joueurs qui ont des désirs, des attentes, des backgrounds complètement différents, et il parvient à faire en sorte que tout le monde se batte l’un pour l’autre. C’est une bonne personne, et c’est quelque chose de très important à mes yeux. Je répète souvent: With good people, you do good things.”
Comme si sa méthode devait être approuvée du regard, le directeur sportif dégaine les PowerPoint à la chaîne pour raconter le travail mené par le club autour de ses valeurs. Un atelier titanesque qui comprend aussi le rôle de décorateur d’intérieur, car chaque mur semble avoir une fonction précise dans les installations lierroises où le blason unioniste s’affiche sans discrétion ni mesure. Sur les slides comme dans les couloirs, le club affiche les cinq piliers sur lesquels il bâtit les fondations d’un avenir solide: intégrité, engagement, courage, passion et humilité. “Notre objectif, c’est de bâtir une culture de club”, reprend O’Loughlin. “Toutes les plus grandes entités sportives du monde en ont une. Le plus éloquent, ce sont les All Blacks. Ils véhiculent une culture et des valeurs. Nous avons mis en évidence nos valeurs sur le mur, et pas seulement pour faire des selfies. On travaille avec elles. On les a choisies, on fait des workshops avec les joueurs parce qu’ils doivent prendre conscience que c’est une clé pour réunir des gens de cultures et d’origines très différentes.”
La construction du noyau, entre quelques routiniers de l’élite belge et des jeunes talents venus d’ailleurs, est effectivement un fin exercice de funambule que l’Union semble actuellement réussir sans perdre l’équilibre. Avec l’aide précieuse des datas sauce Tony Bloom, président de Brighton et propriétaire du club saint-gillois (voir encadré), le recrutement passe au peigne fin des centaines de profils en quête de l’oiseau rare. Depuis un peu moins d’un an, l’ordinateur de Chris O’Loughlin compile ainsi la fiche d’identité d’un peu plus de 1.100 joueurs, complétée de plus en plus précisément au fur et à mesure que l’intérêt s’aiguise, avec des données sportives mais aussi familiales ou des analyses de comportement en interview ou sur les réseaux sociaux. La plupart des noms sont bien sûr inconnus du grand public. “On doit être créatif et aller plus loin que les autres”, justifie Philippe Bormans, dernier maillon de la chaîne du recrutement. “On se penche sur des championnats moins suivis par nos concurrents, on utilise nos datas pour faire un premier tri parmi les profils… C’est de cette manière-là qu’on va chercher un profil comme Deniz Undav.” Sensation du début de saison, déjà auteur de 18 buts en D1B la saison dernière, l’artificier allemand n’avait jamais brillé plus haut que sa D3 nationale avant de rallier la capitale.
“La meilleure manière de construire un club, c’est de commencer avec des gars inconnus qui ont cette faim de prouver à tout le monde qu’ils ont le niveau pour jouer plus haut”, embraie Felice Mazzù, devenu coutumier du profil de l’affamé lors de ses années zébrées. Ce n’est sans doute pas un hasard si les Unionistes ont démarré la saison en trombe avec un onze pratiquement inchangé par rapport à leur titre dans l’antichambre, essentiellement composé de joueurs qui découvrent l’élite belge. “Je sais que ça a étonné beaucoup de gens”, sourit le Carolo, pourtant déjà adepte de la méthode de l’intégration progressive des recrues durant ses saisons dans le Pays Noir. “Mais il ne faut pas oublier que même si beaucoup dénigraient la qualité de cette D1B, on a réussi une grosse saison en montrant que notre qualité était au-dessus de cette division. Et surtout que quand tu veux travailler sur un projet à long terme, tu ne peux pas casser tous les six mois ce que tu commences à mettre en place. Il faut avancer avec les mêmes bases.”
Dans le vestiaire, cette confiance en l’ossature du noyau sacré en mars dernier galvanise les troupes. “Chambouler les groupes tous les ans, c’est un peu devenu une mode”, se marre Guillaume François. “Ici, notre collectif est rodé. Les transferts ont augmenté la concurrence et on sent qu’on ne peut pas relâcher la pression à l’entraînement, tout le monde est sur le qui-vive, mais notre équipe est la preuve que le club fait les choses à une vitesse raisonnée et raisonnable, en posant des bases très fortes et sans avoir la folie des grandeurs. On sent que le projet est très solide.” Ni la fête anesthésiée par les rebonds du Covid, ni les quatre mois écoulés entre le titre et la reprise au sein de l’élite n’ont éteint le football enthousiaste de la bande à Felice. Après un mois de congés, récompense rare dans un milieu où les matches s’enchaînent toujours plus, le club s’est offert une préparation de sept semaines, tout aussi luxueuse à l’heure où chaque jour est compté lors des étés de compétition internationale.
Reste désormais à voir si la réussite du mariage tant attendu entre l’Union et l’élite dépassera le stade de la lune de miel. “Le Beerschot et OHL ont aussi fait des bons débuts de saison l’année passée avant d’un peu s’essouffler”, prévient Guillaume François, comme pour maintenir les troupes en alerte. À tous les étages, après une saison de découverte que chacun affirme vouloir aborder pas à pas et avec une prudence raisonnable et indispensable pour poser les bases, les ambitions futures s’écrivent néanmoins en majuscules. Avec la grandiloquence de celles du passé, rappelées dans l’imposant hall principal par une ligne du temps illustrée comprenant plus de soixante entrées.
“Quand un joueur arrive à l’Union, il doit connaître notre histoire. C’est pour ça qu’on peut voir cette ligne du temps là-dehors”, explique O’Loughlin depuis son bureau. “Faire partie d’un club au sujet duquel vous pouvez dire qu’il a joué contre la Juventus, que certains de ses joueurs ont porté le maillot de l’équipe nationale ou que le Danemark et l’Espagne ont joué le premier match de leur histoire dans notre stade, c’est magnifique. On doit être fier de ce passé mais dans le même temps, on doit évoluer, utiliser ces choses positives du passé pour construire notre avenir.”
Entre projet de nouveau stade pour permettre au club de répondre à la demande croissante de son public et d’augmenter ses recettes, et idée d’un centre d’entraînement relocalisé en région bruxelloise, Philippe Bormans n’a presque plus le temps pour les coups d’oeil dans le rétroviseur. Le regard est déjà porté au loin: “On vient de monter, mais on est ambitieux. C’est maintenant que le vrai travail commence.”
Le malentendu Brighton
“Quand je suis arrivé ici et que j’ai parlé de Brighton, je me suis fait taper sur les doigts”, se marre Felice Mazzù. Si le coach avait bien potassé son histoire unioniste, les détails de la situation actuelle des propriétaires du club lui échappaient encore. Désormais, il est parfaitement capable d’expliquer que Tony Bloom, président de Brighton, a investi à Saint-Gilles en compagnie de son associé Alex Muzio mais n’intervient pas dans la gestion du club, laissée à Muzio (nommé président). L’Union n’est donc pas la propriété ou une succursale de Brighton. “Il n’y a aucun lien administratif entre les deux clubs”, reprend Mazzù. “Même si évidemment, ils ont des rapports.” L’arrivée en prêt du talentueux Japonais Kaoru Mitoma est la dernière borne d’une voie ouverte avec succès par Percy Tau.
“On peut toujours appeler Brighton, mais on a environ un de leurs joueurs en prêt par saison, ce n’est pas énorme”, enchaîne Philippe Bormans. “D’ailleurs, c’était très important pour nous de travailler sur un projet unique, au sein duquel on ne forme pas des joueurs pour un autre club. Ça ne pouvait pas correspondre à l’identité de l’Union. On a notre propre histoire.” Bien trop riche en succès que pour devenir une équipe B.