Anthony Morris n’est pas animé par la revanche, plutôt par l’envie.
Anthony Moris est au sommet de son art. L’international luxembourgeois de l’Union est le troisième gardien d’Europe à avoir réalisé le plus de clean-sheets cette saison. Le portier de 31 ans savoure d’autant plus ce qui lui arrive qu’il n’a pas toujours eu la vie facile. prev
Si l’Union trône en tête du classement, c’est aussi grâce à son dernier rempart, décisif à de nombreuses reprises. Mais comme ses coéquipiers, il reste les pieds bien sur terre. Car il sait d’où il vient.
Anthony Moris, peut-on dire que vous êtes actuellement en train de vivre la meilleure saison de votre carrière ?
La meilleure saison, je ne sais pas. Car j’ai vécu de très bons moments lors des trois dernières années. Je dirais plutôt que je suis dans la continuité.
Pourtant, depuis le début de la saison, vous avez réalisé 12 clean-sheets. En Europe, seuls Remko Pasveer de l’Ajax (15) et Ederson de Manchester City (13) font mieux que vous…
On n’évolue pas non plus dans les mêmes championnats. Mais c’est clair que, à notre échelon, c’est costaud. Le fait qu’on ne laisse que très peu d’opportunités envoie un signal fort à l’adversaire : celui qu’il va devoir redoubler d’efforts pour marquer.
Sur les 9 dernières rencontres, vous avez réalisé 7 clean-sheets. Depuis le début du mois de décembre, c’est comme si vous aviez considérablement resserré les boulons derrière. Comment l’expliquez-vous ?
On a grandi lors des derniers matches. On est moins naïf. En début de saison, on essayait parfois de ressortir trop proprement. Ou alors on perdait des duels à des endroits dangereux. On a gommé ces erreurs-là. Et puis, on a un entraîneur d’origine italienne qui est un perfectionniste dans ce domaine (sourire).
Personnellement parlant, comment vivez-vous votre première saison complète en Division 1A ? Vous aviez joué une dizaine de matches avec Malines en 2016 mais vous étiez ensuite blessé.
Mes deux blessures aux ligaments m’ont fait évoluer tant sportivement qu’humainement. Aujourd’hui, je mesure la chance que j’ai de pouvoir faire de ma passion mon métier. Je prends un plaisir fou.
Depuis 2016, vous n’aviez plus goûté à la D1A. Comment avez-vous vécu cette longue parenthèse loin du football de haut niveau ?
En 2018, j’ai quitté Malines pour Virton. Et cela me fait, aujourd’hui, d’autant plus apprécier le fait de jouer en D1. Car il y a quatre ans, je jouais en Nationale 1 face à des équipes comme Heist ou Audenarde, sur des terrains catastrophiques. J’ai connu la misère dans cette division. Aujourd’hui, je n’ai vraiment pas le droit de me plaindre. Car je sais que j’ai connu bien pire (sourire).
Considérez-vous que ce qui vous arrive aujourd’hui est une belle revanche sur votre passé ? Et notamment sur le Standard et Malines où vous n’avez pas réellement reçu votre chance ?
Non car je suis croyant. Je me dis que cela devait m’arriver : le fait de ne pas avoir été performant avec le Standard quand je le devais, ainsi que le fait d’avoir été touché par les blessures à Malines. Mais je suis surtout fier de mon mental. C’est quelque chose qui m’a accompagné tout au long de ma carrière jusqu’à présent.
Justement, n’avez-vous jamais eu envie de tout arrêter ?
Je me suis toujours dit que je n’avais pas fait tous ces sacrifices depuis que je suis petit pour rien, que le travail paye toujours. J’ai dû patienter. J’ai dû prendre mon mal en patience. Je me suis retrouvé six mois au chômage après le Standard. Durant cette période, je n’ai pas pris un seul jour de vacances. Je m’entraînais tout seul sur un terrain annexe avec des cônes. Je plongeais tout seul sans que personne ne frappe dans la balle. C’est le genre de choses qui a forgé la personne que je suis aujourd’hui.
N’êtes-vous pas, au final, le symbole parfait des joueurs de l’Union ? Des joueurs qui, pour la plupart, ont eu des moments très compliqués dans leur carrière mais qui n’ont jamais abandonné.
En fait, c’est cela qui a construit l’état d’esprit du groupe. On ne se prend pas la tête car on sait tous d’où on vient. On sait que, dans les moments difficiles, il n’y avait bien souvent que nos familles qui étaient là pour nous. On garde dès lors la tête bien froide. Et ce, même si on possède dix points d’avance sur l’Antwerp.
Vous évoquez votre avance en tête du championnat. On se demande de plus en plus ce qui pourrait vous priver du titre de champion…
En réalité, on n’évoque pas le titre entre nous. On n’en parle pas. Ce qu’on sait, c’est qu’on est conditionné pour gagner. Cela a commencé en préparation, et cela se poursuit à chaque entraînement et à chaque match. Quand tu passes une saison à tout gagner, tu te dis bien qu’il y aura une récompense à la fin. Mais on veut avant tout donner le meilleur de nous-mêmes. Car on a envie de revivre ces scènes de joie chaque semaine.
À 31 ans, vous semblez au sommet de votre art. Vous voyez-vous jouer encore longtemps ?
Ma chance, c’est que j’ai deux nouveaux genoux et que je peux donc tenir encore longtemps (rires). Plus sérieusement, je ne me suis pas fixé de deadline. Ma limite, c’est le plaisir. Tant que j’en prendrai et que j’aurai le sourire, je continuerai.
Et pourtant, vous aviez déjà affirmé précédemment que le monde du football professionnel ne vous enchantait guère…
Les gens ne se rendent pas compte à quel point une carrière professionnelle peut être nocive pour un joueur. On est constamment jugé, critiqué. Notre tête apparaît dans les journaux toutes les semaines. Si tu n’es pas fort mentalement, c’est quelque chose qui peut te miner. En plus, on ne parle toujours que du Anthony footballeur. Alors qu’il y a aussi Anthony l’être humain. Je dis d’ailleurs à ma fille que son papa n’est pas la personne qu’elle voit à la télé mais celle qui est avec elle au quotidien.
Et le Anthony hors du football, comment est-il ?
J’aime bien l’immobilier, le vin, le restaurant. Les bonnes choses en somme. Mais surtout, je veux être un bon papa et un bon mari. Mon plus grand bonheur, c’est d’aller chercher ma fille à l’école. Je sais qu’un jour, le Anthony footballeur reviendra dans la vie « normale ». Et ce ne sera pas dans le monde du football. Je ne me vois pas continuer dans ce domaine. Je ne voudrai plus être absent tous les week-ends, devoir annuler un repas ou une réunion de famille, manquer un mariage ou une communion. C’est quelque chose qui me pèse.
Vous reprendrez donc un travail « normal » après votre carrière ?
Oui car je veux donner un exemple à mes enfants. Je veux leur donner l’envie de bosser, qu’ils aient la notion de l’argent, qu’ils sachent qu’il faut faire des sacrifices et se retrousser les manches.
Pour en revenir à votre carrière. Vous êtes également le gardien de l’équipe nationale luxembourgeoise, alors que vous aviez joué dans les équipes d’âge pour la Belgique. Comment cela se fait-il ?
En retraçant l’arbre généalogique de la famille, mon papa s’est rendu compte que je pouvais jouer pour le Luxembourg. J’avais 24 ans à l’époque et la sélection luxembourgeoise m’a directement appelé pour me faire part de son intérêt. Cela m’a permis de jouer des matches de haut niveau. La chose dont je suis le plus fier aujourd’hui, c’est l’évolution des jeunes joueurs luxembourgeois qui réussissent à passer des paliers et à réaliser des résultats. J’ai connu le Luxembourg médiocre, qui était à la ramasse. Mais ce n’est plus comme ça maintenant.
Depuis 2018, vous êtes titulaire incontestable de la sélection et avez déjà fêté 43 titularisations. Vous vous forgez une belle petite expérience…
J’ai joué contre les plus grandes nations européennes. J’ai affronté le Portugal, la Belgique, l’Italie, l’Espagne, la Suède, etc. Ce sont tous des matches qui restent gravés dans ma mémoire. Et c’est également une expérience très précieuse que j’ai ramenée en club. En tout cas, je ne remercierai jamais assez le Luxembourg de m’avoir toujours fait confiance, même dans les moments les plus compliqués de ma carrière où je ne jouais pas dans mes clubs.