Alex Muzio, le président de l’Union, répond à ceux qui
estiment que Brighton est derrière la réussite de son club.
Voilà un an exactement
qu’Alex Muzio n’avait plus
donné d’interview. Tant pis si
la grève du métro londonien
lui a fait louper l’Eurostar, le président
anglais de 38 ans de l’Union s’est assis
durant une heure trente derrière son
écran d’ordinateur, chez lui, pour par-
ler en profondeur de son club.
Commençons par évoquer le nouveau
stade qui n’arrive pas. À quel point
est-ce un projet important pour vous ?
“On ne peut pas attendre de l’Union
qu’il surperforme chaque année. D’ici
dix ans, il sera important d’augmenter
les revenus pour pouvoir dépenser plus.
Et puis les supporters me parlent des
infrastructures, du manque de toilettes,
de l’absence de toit dans trois tribunes
de notre stade, etc. Pour rester à un haut
niveau, ce qui est notre objectif, il nous
faudra un nouveau stade. Avec cela,
nous aurions non seulement des reve-
nus supplémentaires, mais aussi des
dépenses en moins puisqu’il ne faudrait
plus louer le stade de Louvain en Coupe
d’Europe, par exemple.”
Pensiez-vous que cela serait si long ?
“Oui et non. Oui parce que je lis les
médias belges et je vois les difficultés
des autres. Mais d’un autre côté, on vise
un espace (NdlR : le site du Bempt) qui
est déjà dédié à du sportif et on ne doit
pas déloger des habitations.”
Comme beaucoup de clubs belges, vous
perdez de l’argent structurellement
chaque saison. De combien parle-t-on ?
“En 2018-19 et 19-20, environ 6 mil-
lions € ; 9 millions en 20-21, surtout à
cause des primes de promotion. La
saison passée, environ 4 millions. Cette
année, je prévois une perte opération-
nelle d’environ 5 millions. Attention,
c’est une prévision sans participation
aux playoffs, sans Europe ni rentrée
detransferts. On doit avoir le 13e
ou le
14e
budget de D1. Sur une saison, on
dépense environ 15 millions €, chiffre qui
monte à 20-24 millions avec les primes.”
Malgré ce budget, votre capacité à trou-
ver des joueurs méconnus est stupé-
fiante. Comment faites-vous ?
“Un transfert est l’aboutissement de
douze mois de travail en général. Nous
avons déjà signé Casper Terho pour
janvier (NdlR : l’ailier finlandais a
signé en septembre). On a de bons
datas qui nous aident à identifier un
grand nombre de joueurs de différents
championnats. Si vous entrez dans un
mercato avec seulement cinq options
pour un poste, il y a des chances qu’il ne
soit possible d’en transférer aucune. Ici,
on a dix joueurs dont on connaît les
attentes, la personnalité, les blessu-
res, etc.”
Mais les autres aussi ont accès aux datas
et ont même plus d’argent…
“Espérons que ça continue pour nous.
C’est une des clés de nos résultats. Notre
travail est bon. On s’assure qu’un renfort
est une bonne personne, qu’il n’a pas un
historique de blessures inquiétant, que
c’est un travailleur. Et, surtout, qu’il veut
venir chez nous à 100 %. Si on parle
d’argent plus que du projet, alors on
passe à quelqu’un d’autre.”
Les nouveaux joueurs disent souvent
avoir été bluffés de voir que vous con-
naissiez aussi leur situation personnelle.
“C’est important. Parfois, les joueurs
ne veulent pas se retrouver ici… et ne le
savent pas forcément. Par exemple, si
vous êtes anglophone et que vous avez
des enfants, les seules écoles pour les
accueillir en anglais sont à Bruxelles et
coûtent cher. Il faut le savoir avant de
signer. Un joueur n’a pas envie de voir
sa famille malheureuse, sinon ça sera
compliqué pour lui de bien jouer.”
Vous excluez les bonus liés à des perfor-
mances individuelles. C’est un choix qui
résume bien l’ADN de l’Union, non ?
“Oui. C’est important pour nous. Je
trouverais injuste qu’un joueur ait un
bonus supérieur aux autres. Je déteste
les bonus liés au nombre de buts ins-
crits, par exemple. Cela pourrait créer
des tensions, même si nous avons de
bons gars dans l’équipe. Vous pouvez
répartir un salaire d’un joueur entre un
fixe et une part liée à la performance.
Mais la dimension collective est la plus
importante pour moi, et si on se focalise
sur ça, le reste suivra.”
En fin de saison passée, Bart Verhaeghe,
le président de Bruges, a dit que le Club
n’avait pas lutté contre l’Union mais
contre Brighton. Que répondez-vous aux
remarques sur vos liens avec Brighton ?
“Tony (Bloom) est l’actionnaire
majoritaire et moi je suis actionnaire
minoritaire et président de l’Union. Si
vous demandez à n’importe quel mem-
bre du staff combien de fois Tony lui a
passé un coup de fil, la réponse serait
zéro. Percy Tau a été loué il y a trois ans
parce que c’était bien pour les trois
parties. Il est allé à Bruges et à Ander-
lecht ensuite. La saison passée, Moises
Caicedo n’a pas été prêté par Brighton à
l’Union, mais au Beerschot. Ce diman-
che, on jouera contre Alzate, qui appar-
tient aussi à Brighton. Je ne connais pas
beaucoup de clubs membres d’un ré-
seau qui louent leurs promesses à des
concurrents d’un autre membre du
groupe. Voilà pourquoi on ne peut pas
dire que nous faisons partie d’un
groupe. Il n’y a pas de lien à part que
Brighton nous prête en moyenne entre
un joueur et un joueur et demi par an ;
que Brighton est possédé par Tony
Bloom que je connais et qu’il y a des
similarités au niveau des datas que
nous utilisons pour recruter. Il n’y a
jamais eu de stratégie du style ‘l’Union
doit prendre x joueurs de Brighton’.
Nous n’avions pas de place pour Cai-
cedo la saison passée, donc on ne l’a
pas pris. Quand Brighton achète Adin-
gra, il envisage plusieurs options pour
le prêter. Mais vu le Brexit et les règles
actuelles, la D1 belge est un bon cham-
pionnat pour prêter un joueur.”
Il n’y a pas d’agenda caché, donc, con-
trairement à ce que certains craignent ?
“C’est très important pour moi que
tout le monde comprenne que tout ce
projet est fait pour l’Union seulement.
On veut intégrer les valeurs locales, on a
un programme social solide. Je m’in-
quiète pour l’avenir du football et je vois
beaucoup de situations où un proprié-
taire étranger arrive dans un club et dit :
“Nous mettons sur pied un réseau de
clubs et vous, vous occupez telle
place dans le réseau”. Pour moi, ce
n’est pas ça le foot. Je ne veux pas que
mon succès soit lié à ce qui se passe
ailleurs. Si vous avez beaucoup d’argent,
ne l’investissez pas dans des clubs de
foot pour le transformer en un business.
Si vous voulez diriger une compagnie de
papier toilette, très bien. Vous pouvez en
avoir une ici, une autre là-bas et per-
sonne n’ira regarder la société de papier
toilette le samedi. Personne ne sera
fâché si elle change de quartier. C’est le
cas pour un club de football. Le sort de
l’Union n’est pas lié à celui de Brighton.”
Ne serait-ce pas un problème par rapport
aux règles de l’UEFA si Brighton et
l’Union se qualifient tous les deux pour
une même compétition européenne ?
“Notre interprétation est très claire :
non. Tony (Bloom) n’a pas d’influence
ou de contrôle sur l’Union. Idem pour
moi sur Brighton. L’UEFA veut assurer le
fair-play et il n’y a pas de doutes à ce
sujet. Le règlement ne précise pas
exactement les critères, mais à nos
yeux, même sans devoir changer la
structure actuelle d’un de nos deux
clubs, cela serait possible que l’Union et
Brighton s’affrontent en Coupe d’Eu-
rope.”
Parlons du sportif : quel est l’objectif de
l’Union cette saison ?
“Comme le dit Karel (Geraerts) :
remporter le prochain match. D’ailleurs,
ma deuxième atmosphère préférée en D1
est celle de Sclessin. Je me réjouis d’y
être. Nous mettons les meilleurs équipe
et staff sur pied pour faire du mieux
qu’on peut. Il ne serait pas sain que
notre déficit structurel dépasse les
5 millions.”
Mais fixez-vous un objectif en Ligue
Europa ou le top 4 en championnat ?
“On ne sait même pas contre qui on
jouera en 8es… C’est incroyable de se
dire que le Barça ou Manchester va
peut-être affronter l’Union, d’ailleurs. En
championnat, je ne veux certainement
pas dire qu’on vise plus haut parce que
ça se passe bien. On sait qu’en Belgique,
si vous parvenez à vous inviter au bal
des Champions Playoffs, tout est possi-
ble. Mais le top 4 n’a pas été fixé comme
une attente.”
Il y a un an, Philippe Bormans assurait
qu’aucun titulaire ne quitterait l’Union
pendant le mercato hivernal. Pouvez-
vous promettre la même chose cette
année ?
“Il y avait un momentum : on voulait
absolument faire en sorte de tout garder
en main pour ne pas avoir de regrets
ensuite. Cette saison, notre équipe a
plus de profondeur. Mais je peux vous
dire qu’à ce jour, nous n’avons reçu
d’offre pour personne.”
Le gros point noir de votre projet reste
l’absence de joueur maison dans votre
noyau A. Y travaillez-vous ?
“Oui, c’est important pour nous. Les
progrès effectués dans l’école de forma-
tion ne se remarquent pas très vite. Ilyes
Ziani se débrouille très bien au Stan-
dard et nous pensions que c’était
meilleur pour lui d’aller en D1B avec
SL16. S’il était resté, nous aurions pu dire
‘Regardez, nous avons un jeune maison’,
mais ce n’était pas le mieux pour lui.”
N’avez-vous pas des regrets sur la façon
dont a été gérée la prolongation de
Felice Mazzù en fin de saison passée ?
“C’est difficile d’avoir des regrets, on
est tellement content de Karel à tous les
niveaux. Sa mentalité, son intelligence
et sa gentillesse sont impressionnantes.”
Étiez-vous déçu sur le coup ?
“Felice avait un contrat, mais cela fait
un moment que je suis ici et ce n’est pas
la première fois qu’un entraîneur quitte
pour un autre club. Ce n’est pas à moi
de juger cela. J’aime me concentrer sur
les choses que je peux contrôler, sinon
vous ne dormez pas la nuit. Ma femme
rigole toujours de ma capacité à m’en-
dormir quinze secondes après m’être
couché. Il n’y a aucune colère en moi. Si
je le vois en tribunes, j’irai le saluer. Il a
fait un job incroyable pour l’Union
pendant deux ans pour nous.”
“Je reste fidèle à qui je suis”
Contrairement à d’autres présidents, Alex Muzio est discret dans les médias.
“Je suis impliqué dans le club chaque jour mais je dois reconnaître que je
ne suis peut-être pas apparu assez souvent dans les journaux par rapport à
d’autres présidents et je dois le faire pour nos supporters.”
À 38 ans, celui qui a rencontré Tony Bloom dans la société londonienne Star-
lizard qui fournit des conseils et analyses en datas et paris sportifs et dont il
est président de la branche US, présente un côté atypique puisqu’on l’a déjà
vu partager une bière avec les supporters en déplacement européen. “Je
dois respecter qui je suis. J’ai toujours pris le métro à Londres et cela n’a
pas changé parce que je suis devenu président de l’Union. C’est sûr que si
je me lâchais, en déplacement européen par exemple, je resterais à boire
des coups une bonne partie de la nuit avec des gens du club, mais ce n’est
pas la meilleure chose à faire en tant que président. Je représente l’Union et
donc je ne vais plus à un rendez-vous avec une autre direction en t-shirt
rose par exemple.” Ce qui était arrivé à ses débuts. La mode londonienne
n’est pas forcément celle du sérail du foot belge.
Geraerts, entre plaisir de revenir et mise en garde
Q uinze ans après l’avoir
quitté comme joueur,
Karel Geraerts va faire son re-
tour au stade Dufrasne en
tant que T1. À la tête d’une
équipe qui tourne toujours
aussi bien et qui pourrait
creuser l’écart avec le cin-
quième, mais qu’il met en
garde face à la furia qui peut
rugir et couler des tribunes
sur la pelouse. “J’ai une appro-
che différente pour chaque
match en fonction des circons-
tances de l’endroit où l’on se
rend, explique-t-il. Ici, par
exemple, il faut bien que tout
le monde soit au courant de
l’importance du début de
match. Le Standard a déjà
prouvé qu’il peut commencer
très fort et il faudra être prêt
tout de suite. On sait que l’am-
biance peut être chaude et que
si cette connexion entre le pu-
blic et l’équipe s’opère, cela
peut représenter un danger
pour nous. Ceci dit, on ne doit
pas nourrir de crainte. On doit
se donner à fond et savoir
qu’on jouera contre une très
bonne équipe. On a du respect
pour le Standard, mais quand
l’arbitre siffle le coup d’envoi,
l’objectif sera bien de gagner,
comme toujours.”
Pour l’ancien médian, qui
a explosé à Sclessin, ce retour
a un goût de plaisir avant
tout. “Cela reste un club parti-
culier pour moi, où j’ai vécu
mes trois plus belles saisons”,
répond-il à propos de la cen-
taine de rencontres jouées
entre 2004 et 2007. “Je re-
viens toujours là avec beau-
coup de plaisir. Il y aura la ten-
sion du match, évidemment,
mais je compte bien en profiter.
C’est un rêve de jouer dans une
telle atmosphère en tant que
joueur, mais en tant que coach
également.”
Le jeune entraîneur salue
au passage le travail de son
homologue, Ronny Deila. “Ce
coach a réussi à remettre
l’équipe sur les rails. Il a vrai-
ment l’âme Standard. On re-
trouve beaucoup de grinta,
d’enthousiasme, mais aussi de
qualité dans une équipe qui
veut jouer vers l’avant et à qui
le public peut s’identifier. Il a
fait du très bon travail en quel-
ques mois.”