I
l n’y a pas qu’un seul che-
min à emprunter pour
devenir footballeur pro-
fessionnel, Ismaël Kan-
douss pourra le confirmer. Re-
calé à plusieurs reprises dans
différents centres de forma-
tion, le défenseur central n’est
devenu pro qu’à 21 ans lors de
son arrivée à l’Union saint-
gilloise.
Celui qui n’a jamais lâché a
connu une trajectoire atypi-
que en passant en quelques
années de surveillant de bai-
gnade à titulaire en Europa
League. Retour sur le parcours
de celui qui rêve désormais
d’une sélection en équipe na-
tionale marocaine.
. Wasquehal
comme premier déclic
Si Ismaël Kandouss com-
mence le football très jeune,
c’est à l’âge de 12 ans qu’un
premier moment clé a lieu
lors d’un test réalisé au sein
du club de Wasquehal, dans le
Nord de la France. “J’avais
passé plusieurs tours lors du test
mais je n’avais finalement pas
été sélectionné lors du dernier
tour, se souvient Kandouss. Le
week-end d’après, le hasard du
calendrier a fait que nous de-
. Ismaël Kandouss a réalisé un de ses rêves en jouant l’Europa League. © PHOTONEWS
UNION SG – BRAGA (JE. 18 H 45)
GROUPE D
Ismaël Kandouss a dû faire face à de
nombreux échecs avant d’enfin devenir pro,
à l’âge de 21 ans, à son arrivée à l’Union.
vions jouer avec mon club con-
tre Wasquehal et nous avions
gagné 4-1. Le coach adverse est
venu me voir et a demandé de
me récupérer. J’ai alors fait une
saison à Wasquehal… avant
qu’ils décident de me virer. Mais
le coach des U14 m’a dit : ‘Je veux
t’avoir dans mon équipe la sai-
son prochaine, donc repasse les
tests au club comme si tu étais
un nouveau joueur.’ J’étais donc
un joueur de Wasquehal qui de-
vait quitter le club mais qui re-
passait les tests… et j’ai finale-
ment été sélectionné. J’ai pu
jouer titulaire en U14, U15 et U16.
Sans cela, ma carrière aurait pu
prendre un tout autre chemin.”
Durant son adolescence, le
joueur originaire de Lille
tente sa chance dans plu-
sieurs grands centres de for-
mation français : Valencien-
nes, Auxerre, Troyes ou encore
Lille vont voir passer Kan-
douss.
Chaque fois, il fait partie
des meilleurs mais n’est ja-
mais repris.
“Cela se jouait souvent entre
moi et un autre et c’était l’autre
qui était choisi. On me disait
que c’était pas mal mais qu’il
me manquait un petit truc. Men-
talement, c’était difficile car je
me disais que je n’étais peut-être
pas fait pour être footballeur. À
l’époque, il me manquait un peu
de personnalité : j’étais assez ti-
mide alors qu’il faut parfois plus
se mettre en avant dans le
monde du football. Quand les
années passent et que tes amis
rejoignent des clubs pros, tu te
dis que ta carrière se fera plutôt
en amateurs. Je m’étais fait à
cette idée, même si j’ai continué
à charbonner à fond.”
Kandouss tente même sa
chance en Angleterre à plu-
sieurs reprises, du côté de
Wolverhampton et de… Bri-
ghton, l’actuel cousin de
l’Union saint-gilloise.
“Je devais faire un test à Wol-
verhampton mais je me suis fi-
nalement retrouvé avec un
agent dans une base militaire
où il fallait un badge pour ren-
trer. Tout ça pour finalement
faire un test non pas à Wolve-
rhampton mais dans une équipe
de D5 anglaise… C’était assez
bizarre, tout ne s’est pas passé
comme prévu (sourire). À Brigh-
ton, il y avait des joueurs de pas
mal de pays différents. On jouait
des matchs à onze contre onze
et les recruteurs du club nous
observaient. Quand j’ai vu les
installations et les terrains là-
bas, je me suis dit que l’Angle-
terre était un monde de fous.
Malgré ces différents échecs, je
ne me suis jamais dit : ‘C’est bon,
j’arrête.’ J’aimais trop le football
et surtout je ne savais pas ce
que j’aurais pu faire d’autre :
parfois je me demandais quel
autre métier je pourrais faire
mais rien ne me venait à l’es-
prit.”
. La prison et la piscine
Vu que les échecs s’enchaî-
nent et que le rêve de devenir
footballeur professionnel
s’éloigne, “Isma” est dans
l’obligation de travailler pour
gagner de l’argent. Tout en
jouant pour le club de Dun-
kerque (D3 française), il en-
chaîne les petits jobs.
“J’ai été administrateur spor-
tif, j’ai travaillé dans le marke-
ting et j’ai aussi bossé au sein
d’une prison comme coach spor-
tif. J’organisais les séances de
football, de musculation ou de
ping-pong avec les prisonniers.
Cela m’a appris qu’il n’y a pas
que des mauvaises personnes en
prison, des gens diplômés pou-
vaient par exemple s’y retrouver.
Ils avaient fait des erreurs dans
leur vie, ils devaient payer pour
ces erreurs mais ils avaient
aussi droit à une seconde
chance. Certains travaillaient
très dur pour se réinsérer dans
la vie active par la suite. J’ai
aussi travaillé comme sur-
veillant de baignade : quand les
jeunes venaient au centre aéré,
je les surveillais à la piscine. Fi-
nancièrement, cela n’a pas tou-
jours été facile : je gagnais
200 euros par mois pour jouer à
Dunkerque, j’avais la bourse
étudiante et ma mère me don-
nait un peu d’argent. Je m’en
sortais avec 700 ou 800 euros
par mois, c’était le minimum
pour vivre. Si je ne réussissais
pas, je ne savais pas ce que j’al-
lais faire. J’ai pris des risques
mais au final, cela a payé.”
Dans les moments durs,
Kandouss peut compter sur
son cercle familial. À com-
mencer par sa mère mais sur-
tout sur son grand-père qui
n’a jamais arrêté de croire en
lui quand l’espoir de réussir
était très mince.
“Il a toujours cru en moi,
même quand je n’y croyais plus,
explique-t-il. On lui répondait
que cela allait être compliqué
mais il ne lâchait pas l’affaire :
quand ma mère me disait que
jouer en CFA était déjà pas mal,
mon grand-père répondait que
j’allais réussir à devenir profes-
sionnel. Il n’est plus là pour le
voir mais tout ce que je fais
aujourd’hui, je le fais pour lui.”
. La sélection marocaine
comme objectif
Finalement, c’est un banal
duel entre l’Union et le Beers-
chot, en décembre 2018, qui
va changer la vie d’Ismaël
Kandouss. Son agent l’invite à
assister à cette rencontre de
D1B mais il se montre d’abord
réticent à venir jusqu’à
Bruxelles.
“Je n’étais pas chaud car je ne
connaissais pas le club. À l’épo-
que, je voulais vraiment réussir
en France et atteindre la Ligue 2.
Et puis, personne ne connaissait
l’Union en France. J’y suis finale-
ment allé, le niveau de l’équipe
et l’ambiance m’ont plu. J’ai
parlé avec le coach Alex Hayes et
il m’a convaincu de signer. Il fal-
lait encore convaincre ma mère
qui n’était pas emballée par le
fait que je rejoigne la Belgique.
Quand on ne connaît pas, on a
parfois certains a priori. Au fi-
nal, j’ai réussi à la convaincre,
elle m’a fait confiance et elle est
maintenant très contente de ma
décision.”
Rapidement titulaire à
l’Union après le départ de
Peyre et la blessure de Perdi-
chizzi, Kandouss enchaîne les
bonnes prestations en D1B.
Après la montée en D1A, le Ma-
rocain a parfois été freiné par
des blessures ou le Covid mais
il est toujours revenu dans
l’équipe. À tel point que la sé-
lection marocaine s’est inté-
ressée à lui.
“Ils commencent à me connaî-
tre même si je n’ai jamais été le
joueur sur lequel on misait,
avance celui qui avait été sé-
lectionné en U23 avec des
joueurs comme Hakimi (PSG)
ou Mazraoui (Bayern Mü-
nich). Mais je ne me fais pas de
films et si la sélection ne vient
pas, tant pis. Je sais que j’ai déjà
énormément de chance d’être là
aujourd’hui. Je sais aussi que je
suis obligé de travailler si je
veux m’en sortir, je ne peux pas
me reposer sur mes acquis. Je
suis fier de mon parcours. Il y
avait tellement de joueurs
mieux placés que moi pour faire
carrière mais, quand je regarde
où je suis arrivé, je fais partie de
ceux qui ont le meilleur par-
cours. J’en profite car je sais que
tout peut s’arrêter du jour au
lendemain.”
“Il s’est acharné pour arriver là où il est”
À tous les matchs à domicile et certains à
l’extérieur, Ismaël Kandouss peut compter
sur le soutien de sa famille. Sami, 20 ans,
porte un regard fier sur le parcours de son
grand frère.
“J’ai beaucoup de fierté car il s’est acharné
pour arriver là où il est. Il n’a jamais baissé les
bras malgré les hauts et les bas. C’est ce qui
le caractérise le plus : il a dû faire face à de
nombreuses défaites mais il y a toujours cru.
Pour lui, il n’y avait qu’une issue, c’était de
devenir footballeur pro. C’est sûr qu’il y a eu
des périodes difficiles mentalement mais
même quand c’était plus compliqué, il a tou-
jours continué.”
À force d’acharnement, le Lillois a finalement
réalisé son rêve et même plus que cela en at-
teignant l’Europa League.
“Je m’attendais à ce qu’il devienne profes-
sionnel mais pas à ce niveau-là. Je l’aurais
bien vu en Ligue 2 mais jamais titulaire en
Europa League… Je suis toute sa carrière
dans le moindre détail et je ne m’attendais
pas à ce qu’il réalise actuellement. Pour moi,
il peut viser encore plus haut dans le futur.
Pourquoi pas en Ligue 1 pour se montrer en
France”, conclut Sami.