Pour la première fois depuis qu’il a quitté la présidence du RSCA en 2018, Roger Vanden Stock se confie à cœur ouvert. Il n’a toujours pas digéré la façon dont Marc Coucke l’a traité, mais il suffirait d’un petit geste de la nouvelle direction pour qu’il revienne, avec un plaisir non dissimulé, soutenir son Sporting au parc Astrid. Il reste le supporter nº1 des Mauves. next
C’est un ancien président du Sporting bruxellois très heureux de nous accueillir dans sa jolie fermette anderlechtoise, à la frontière entre Anderlecht et Dilbeek, que nous avons retrouvé trois saisons après la fin de 21 années de présidence au RSCA. Roger Vanden Stock (78 ans) joue encore régulièrement au golf et s’entretient quotidiennement dans sa piscine couverte, « construite en 1981 pour mes vieux jours. » Une douce consolation à défaut d’un plein épanouissement. Le confinement lui pèse et son Sporting lui manque, indéniablement. Cela transpire de l’entretien accordé à notre journal – son « préféré » –, qu’il a tenu à partager à l’ensemble de la presse écrite. « Pour ne froisser personne ». Le cœur mauve de cet homme de compromis a beaucoup saigné ces derniers mois mais il lui est impossible de tirer définitivement un trait sur plus de cinquante ans de sa vie en dépit de l’humiliation que lui a fait subir son successeur. Le reverra-t-on un jour dans la tribune d’honneur du parc Astrid, à laquelle il a offert, comme son père Constant, dix titres de champion de Belgique ? Rien n’est moins sûr, mais il laisse la porte ouverte. On est même convaincu qu’il en rêve.Roger Vanden Stock, trois ans après votre départ de la présidence du RSCA, comment vivez-vous votre retraite ?Je dois bien avouer que le confinement ne m’a pas aidé à rythmer mes journées comme je l’aurais voulu. Je viens de passer dix jours à Meribel mais, à 19 h, ils éteignent toutes les lumières dans les rues. Quelle tristesse. Heureusement qu’il y a la piscine, le sport à la télé – je suis même devenu un spécialiste du Darts –, mon épouse, les petits enfants et le golf. Mais après 9 trous, je dois faire le reste du parcours en voiturette. Mes jambes me font souffrir. J’ai aussi subi une intervention au niveau du cœur – un pontage –, dont on avait découvert la nécessité dans le cadre d’une opération du dos. Mais bon, je ne vais pas me plaindre, je profite davantage du jardin. Je prends des photos des fleurs. D’ailleurs, la floraison est en retard de trois semaines par rapport à l’année dernière.Vos fleurs vous mettent un peu de baume au cœur par rapport à votre fin douloureuse à Anderlecht ?Que voulez-vous ? La nouvelle direction a voulu faire fi du passé. À sa première conférence de presse, rappelez-vous des propos utilisés par Marc Coucke : « ce club est dirigé dans la féodalité, il est nécessaire de changer tout ça. » J’ai pris cela comme un coup de couteau. J’ai d’ailleurs failli me lever et partir. À un moment donné, les quatre bustes des anciens présidents du Sporting ont même été remplacés par des plantes et la Fondation Constant Vanden Stock a eu quinze jours pour quitter le stade et trouver refuge dans mon grenier. Quelle différence par rapport au respect que m’a témoigné l’UEFA après des années passées à son service.Retournerez-vous un jour voir un match au parc Astrid, aujourd’hui rebaptisé le Lotto Park ?Je pense que je n’irai plus jamais. J’y suis allé quelques fois au début mais je n’ai pas trouvé ma place. Il y avait des bars partout, nous étions invités, mais tout juste tolérés. Nous devions, comme tout le monde, aller au bar chercher à manger et à boire.Que pensez-vous du travail effectué par Vincent Kompany ?J’ai été étonné qu’ils se qualifient pour les Playoffs 1. J’étais très content. Ils se sont qualifiés dans les grands matches contre l’Antwerp et Bruges notamment. S’il n’y avait pas eu cette qualification, il faut bien reconnaître que le bilan aurait été dramatique.Voyez-vous Anderlecht redevenir champion dans les prochaines années ?Cela va être compliqué. Parce que la structure mise en place actuellement est très coûteuse et continue d’entraîner des pertes. Une année après mon départ, ils avaient 6 millions de pertes. Puis l’année suivante, plus de 20 millions. Et il me semble que, cette année-ci, ils vont de nouveau être en déficit malgré le transfert de Doku qui a rapporté 27 millions. Garder la structure actuelle, ce n’est pas tenable. Ou alors, ils devront encore vendre quelques perles.N’aviez-vous pas, vous aussi, connu pas mal de pertes durant votre ère ?Non, très rarement ! Quand nous avons fait le transfert de Köller en 2000, nous avions un milliard de francs belges de pertes (NDLR : 25 millions d’euros). Et deux ans après, nous étions obligés de vendre plusieurs joueurs. Zetterberg est parti à l’Olympiacos, Köller à Dortmund, Dheedene à Munich 1860, Goor à Berlin. Nous avons renfloué les caisses tout en assurant une réserve pour le futur. Nous avons toujours fonctionné comme ça. Les pertes, je ne supportais pas ça.Même lors de vos derniers mois de présidence ?Lors du dernier bilan que nous maîtrisions, nous avons fait 300 000 euros de bénéfices. Nous visions toujours très juste mais très bien. Ensuite, on nous a reproché les 6 millions de pertes de l’exercice suivant, parce que nous avons géré le club jusqu’en janvier. Mais, pendant six mois, ils ont déjà fait des bêtises à l’époque.Lesquelles ?En fait, le tournant s’est produit en janvier de cette année-là (NDLR : 2018). Je voulais prendre des risques en gardant Hanni et en faisant revenir Mitrovic, qui était d’ailleurs à Neerpede pour signer, le dernier jour du mercato. Mais le conseil d’administration, déjà sous la pression de Coucke qui n’était pas officiellement propriétaire mais déjà influent, a imposé une rentrée de 10 millions de cash dans les caisses. On a donc vendu Hanni et on a renoncé à Mitrovic. Si nous avions eu ces deux-là, nous aurions à nouveau été champions et nous aurions empoché… 35 millions car le système de répartition des gains venait de changer.Mais quand la famille Vanden Stock a quitté le Sporting, Bruges montait déjà en puissance depuis quelques années. À quel moment avez-vous décroché par rapport au Club ?Le tournant, je le répète, c’est janvier 2018, j’en reste persuadé. En étant champions, nous aurions empêché Bruges d’à nouveau empocher un très gros montant et de prendre de l’avance. C’était l’objectif. C’était peut-être… féodal, mais c’était bien pensé.Le terme « féodal » vous a manifestement fait mal…Oui très mal. Mais je pense qu’il s’agit plus de maladresse qu’autre chose.Vous êtes-vous senti trahi par Marc Coucke ?Dans les négociations pour la vente du club, le Conseil d’administration avait reçu 4 offres. Il y avait Johan Beerlandt (Besix), qui voulait reprendre 50 %. Un noyau belge avec l’actuel président Wouter Vandenhaute voulait aussi reprendre 50 %. Ces deux offres ont été rejetées tout de suite. Il restait Paul Gheysens et Marc Coucke. À l ‘époque, nous étions en conflit avec Gheysens (NDLR : devenu depuis lors le président de l’Antwerp) et sa société Ghelamco pour la construction du stade. Gheysens m’avait toutefois convaincu qu’il allait faire un effort et cela aurait tout solutionné, y compris pour le nouveau stade national. Mais il n’y avait que Philippe Collin et Herman Van Holsbeeck qui me soutenaient dans ce dossier Gheysens. Tout le reste de mon CA se cachait derrière le fait que le sportif était plus important que le financier. Rappelez-vous que l’offre de Gheysens était plus importante que celle de Coucke. Coucke l’a finalement emporté car il avait un projet sportif plus convaincant. J’ai suivi mon CA.Vous vous attendiez à davantage de considération de la part de Marc Coucke…Oui, bien sûr. Je me voyais président d’honneur, comme on me l’avait promis. Je me voyais dans la tribune à tous les matches et considéré comme un ancien dirigeant ayant représenté quelque chose dans l’histoire du club. Après la vente, j’ai eu un entretien avec Coucke. Je dis bien un, pas deux, hein ! Je lui ai dit que je n’interviendrais plus dans la gestion du club sauf si on me le demandait. J’aurais volontiers rempli un rôle de sage tout en profitant encore pleinement de mon club. Quarante-cinq années dans la tribune, à chaque match, ça laisse des traces. Puis, du jour au lendemain, tu es mal traité dans ce que tu as toujours considéré comme ta maison. J’ai trouvé cela inadmissible. Même ma femme Kiki devait payer sa place. J’étais le seul, avec Eddy Merckx et Paul Van Himst, à être invité. J’ai préféré me retirer et ne plus jamais venir.Wouter Vandenhaute, le nouveau président anderlechtois, a-t-il pris contact avec vous ?Il a pris contact au moment de la reprise, quand il était l’un des candidats. Wouter est un supporter de toujours, qui venait à tous les matches avec sa femme. Il avait déjà cette ambition d’être quelqu’un d’important au Sporting depuis des années. Depuis qu’il est président, il m’a téléphoné à une reprise mais je n’ai pas décroché. Je l’ai revu à l’enterrement du père de Van Holsbeeck et je lui ai dit gentiment bonjour. Il m’a répondu vaguement, peut-être vexé que je n’ai pas répondu à son appel.Vibrez-vous encore pour les Mauves ?Non, peut-être ! Lors du deuxième goal contre Genk, samedi passé, j’ai directement éteint la télévision. Ma femme m’a obligé de rallumer immédiatement car elle voulait voir la fin, mais j’étais trop déçu. Je reste le supporter nº1 d’Anderlecht. J’espère vraiment qu’ils ne vont pas devoir vendre leurs meilleurs jeunes trop vite vu la situation financière.La situation financière que vous évoquez vous fait-elle craindre le pire pour le RSCA ?Oui, j’ai eu peur et j’ai encore peur. Je vous avoue que je crains la faillite pour Anderlecht. Je pense qu’ils vont encore faire des pertes lors des prochains exercices. Qui va supporter cela ? Un milliardaire ? Coucke le fait jusqu’à présent mais pour combien de temps encore, alors qu’on parle de 36 millions de pertes et de 100 millions de dettes ? Il a déjà mis énormément d’argent mais jusqu’à quel point va-t-il le faire ? J’entends aussi qu’il voudrait un associé, un autre investisseur. Je pense que Coucke fera tout pour éviter la faillite car sinon il faudrait repartir de zéro, plusieurs échelons en dessous. Je l’espère en tout cas.Pourquoi Marc Coucke, qui a jusqu’ici perdu énormément dans l’aventure, a-t-il racheté Anderlecht selon vous ?C’est son ego qui a parlé. Il voulait montrer qu’il était capable de faire mieux que nous.Jusqu’ici, il n’a rien gagné…Si, le championnat féminin.Vos filles vont-elles rester actionnaires ?Je leur avais conseillé de tout revendre au moment de mon départ, pour que tout soit plus clair. Mais actuellement, elles ne sont pas vendeuses. Elles avaient 5 %, c’est devenu un peu plus de 3 %. Les actions ne valent pas grand-chose aujourd’hui.Mais vous vous y êtes quand même retrouvé lors de la vente du club…Oui, c’est exact. Mais la priorité était surtout d’empêcher quelqu’un d’autre de gagner sur notre dos. Après un demi-siècle de travail de la famille Vanden Stock dans le club en tant que bénévoles, cela me paraît légitime. Comme mon père, j’ai toujours été un président sans le moindre salaire, sans carte de crédit du club, sans voiture. Rien. Pas même un téléphone. Je ne voulais pas, pour éviter tous les reproches.Avez-vous régulièrement mis de l’argent de votre poche ?Non, jamais, contrairement à mon père qui payait les joueurs avec des enveloppes. Moi, je me contentais de prêter de l’argent et de prendre des risques.La nouvelle direction vous reproche d’avoir mis les finances du club dans le rouge…J’attends toujours qu’on me montre ces fameux cadavres dans les placards. C’est probablement toujours à l’instruction. J’ai la conscience tranquille.Étiez-vous au courant de tout, en tant que président ?Logiquement, oui. Ce n’est évidemment pas exclu mais je ne pense pas qu’on m’ait caché des choses.Des agents n’ont-ils pas profité de votre gentillesse ?Quand vous parlez d’agents, vous parlez sans doute de Mogi Bayat. Je me suis toujours bien entendu avec lui. Je lui disais qu’il me coûtait trop cher, mais son travail était correct. Par contre, il y en avait d’autres… J’ai foutu Dejan Veljkovic hors de mon bureau. Il me disait pouvoir arranger des matches avec les arbitres. J’en avais eu assez avec le dossier Nottingham dont j’avais hérité lorsque j’ai pris la succession de mon père et que j’avais moi-même dénoncé. Dans le même ordre d’idée, ça me fait mal d’entendre Roland Duchâtelet dire qu’on a acheté le titre de 2014. Il est question du match Genk-Anderlecht ? Je ne suis au courant de rien. J’ai été champion une saison sur deux et c’était le fruit d’une bonne gestion, tout simplement.Pardonnez-vous facilement ?Oui.Seriez-vous prêt à pardonner à Marc Coucke ?Pour autant qu’il fasse un geste.Cela vous apaiserait ?Probablement. Certainement, même. J’ai toujours l’envie de retourner dans mon club. Pas pour diriger, mais juste pour le plaisir de revoir les matches dans ce stade et avec le public. J’en ai marre de ce confinement !Avez-vous encore entendu certains joueurs depuis votre départ ?Pär Zetterberg. C’est le seul. C’est peu mais c’est la vie. Les footballeurs ne sont pas très reconnaissants. Mon ancien CA et les actionnaires ? Je n’ai plus beaucoup de contacts non plus.Les actionnaires ont enfin trouvé un accord…On dit ça, mais je ne suis pas convaincu. La gestion financière reste aléatoire et je me demande comment tout ça va se terminer. Peut-être trouveront-ils un jour un équilibre financier, mais je pense que ce ne sera pas pour demain. Je le répète, jusqu’à quand Coucke bouchera-t-il les trous ?Vous le voyez rester encore longtemps ?Heureusement pour lui, il a toujours Kompany qui est son homme du futur, qui solutionnera peut-être tous les problèmes. J’ai été agréablement surpris par ses dernières semaines comme coach après avoir été très déçu à ses débuts quand il ne faisait que changer, sans la moindre expérience.Pour Vincent Kompany, le RSCA n’est-il pas avant tout un tremplin dans sa carrière d’entraîneur ?Je le pense. Le club continuera-t-il à le suivre et jusqu’où ? Si Anderlecht ne le suit pas, il partira s’épanouir ailleurs. N’oublions pas que son staff technique et lui coûtent cher. Kompany est actuellement, de loin, le T1 le mieux payé de Belgique. Acceptera-t-il de revenir au niveau d’un coach belge ? Je ne le crois pas. Et si Coucke abandonne Kompany pour des raisons financières, Anderlecht aura un gros souci. Pour s’en sortir, il faudrait vraiment deux ou trois ans d’affilée en coupe d’Europe et, de temps en temps, sortir un bon jeune qui rapporte des trophées puis de l’argent.La troisième place serait finalement une belle réussite pour le Sporting, compte tenu des circonstances et de la saison qu’il a vécue…Oui, mais il va encore falloir aller chercher un point à l’Antwerp. Les Anversois paraissent démobilisés mais qu’ils se méfient de Mbokani. Il y a deux ans déjà, j’avais dit au Sporting de le reprendre. Avec lui, ils auraient été champions. Aujourd’hui, on fait des transferts avec des programmes informatiques. Avec moi, l’humain restait au centre dans chaque transfert.Quelle est la plus grosse négociation ayant eu lieu, ici même, dans cette fermette à l’abri des regards ?Il y a huit ans, Kevin De Bruyne était assis dans ce fauteuil, là dans le coin. En compagnie de son papa et de son agent De Koster. Alors qu’il avait tout connu avec Genk, il était prêt à signer à Anderlecht. Mais Genk demandait 8 millions alors que nous n’étions disposés à ne mettre que 3 ou 4 millions. Il est finalement parti à Chelsea. Nous aurions dû le faire.Vous aviez également été tout près de transférer Lucien D’Onofrio à Neerpede…Mais mon CA, Davignon et Van Damme en tête se sont opposés à sa venue vu sa réputation. Cela reste un regret. Avec D’Onofrio, on aurait pu à nouveau viser haut en coupe d’Europe. J’ai rarement vu un gars qui connaissait aussi bien le football et ses coulisses. Il a toujours réussi en ne dépensant pas beaucoup d’argent. Ce n’est pas un hasard si Coucke a déjà essayé à plusieurs reprises de le faire venir au parc Astrid. Mais Lucien voulait tous les pouvoirs sportifs. Ce que, déjà à l’époque, mon CA ne voulait pas lui donner. Dans ce dossier-là aussi, j’ai écrasé et je me suis rallié à la majorité. À certains moments, j’aurais dû aller contre ma nature, mais je n’ai jamais eu l’âme d’un dictateur. Et je ne l’aurai jamais.