Jacques Teugels, ancien joueur des deux
clubs, se remémore ses souvenirs bruxellois.
En rentrant dans l’en-
ceinte du stade Ma-
rien, pour la séance
photo, Jacques Teu-
gels (74 ans) s’extasie face à la
pelouse du terrain de l’Union :
“Quel billard ! Nous n’avions pas
ça à l’époque.”
Cette époque remonte aux
années 60 et 70 quand l’atta-
quant bruxellois faisait fureur
du côté d’Anderlecht puis du
côté de l’Union. À quelques
jours du duel entre ses deux
anciens clubs, celui qui a la
particularité d’avoir joué
pour les quatre grands clubs
bruxellois (en ajoutant le Ra-
cing White et le RWDM) re-
plonge dans ses souvenirs, en-
tre nostalgie du bon temps et
hostilité envers le football bu-
siness.
. L’Union
version 2021-2022
“La montée du club me fait
plaisir. J’ai suivi les résultats de
l’Union en D1B mais je ne regar-
dais pas les matchs. Je connais
le buteur Dante Vanzeir et
l’autre bon joueur qui distri-
bue… Loïc Lapoussin, c’est ça !
Maintenant qu’ils sont en Divi-
sion 1, je regarderai leurs ren-
contres à la télé. Mais ce n’est
plus le football d’avant… Il n’y a
plus beaucoup de Belges et en-
core moins de Bruxellois à
l’Union saint-gilloise tout
comme dans les autres clubs de
Pro League. Presque tous les
clubs sont dirigés par des busi-
nessmen et non plus par des
gens qui connaissent vraiment
le football. Il n’y a plus que l’ar-
gent qui compte. Je regarderai
tout de même la rencontre de di-
manche. Mais, si j’avais l’anni-
versaire de mon petit-fils en
même temps, je raterai sans
problème la rencontre (sou-
rire). Si je compte venir voir des
rencontres au stade Marien
cette saison ? Non, je ne crois
pas. C’est tellement difficile de
trouver une place de parking
ici… Et puis, je n’ai jamais reçu
la moindre invitation du club. Je
me demande si les dirigeants ac-
tuels savent qui je suis… Un
jour, j’étais à RWDM – Union.
L’ex-président unioniste Jürgen
Baatzsch était à côté de moi en
tribunes mais ne savait pas qui
j’étais…”
. Ses débuts
dans le football
“Je jouais au sein du club
d’Ixelles avec des copains. Cela
nous arrivait de jouer contre les
cadets B d’Anderlecht. Un jour,
trois scouts sont venus et ont
fait un rapport à mon sujet alors
que j’avais une douzaine d’an-
nées. Quelques jours plus tard,
pendant une de mes rencontres,
M. Steppé (NdlR : secrétaire gé-
néral d’Anderlecht) est arrivé
vers mon père et lui a dit : ‘Je
suis d’Anderlecht, je viens pour
le transfert de votre fils.’ Ils n’ont
pas discuté d’argent mais bien
des frais pour le bus. Depuis le
domicile familial ixellois, je de-
vais prendre le bus 33 jusqu’à la
Porte de Namur avant de pren-
dre le bus 45 jusqu’à Anderlecht.
À ma sortie du terrain, ils m’ont
demandé de signer un papier.
Steppé a sorti dix francs de sa
poche et m’a dit : ‘Tiens, tu peux
aller t’acheter un coca et une
gaufre. Les entraînements re-
commencent en juillet.’”
. Ses années
anderlechtoises
“J’ai fait toutes mes classes
dans les équipes de jeunes d’An-
derlecht. J’ai dû attendre d’avoir
joué 15 matchs avec l’équipe ré-
serve pour recevoir ma première
prime de match. Aujourd’hui, on
jette presque l’argent aux pieds
du jeune avant même qu’il ne
monte sur le terrain… À
17-18 ans, j’étais loin d’être le pre-
mier choix en attaque, donc, une
fois le match commencé, je pou
vais aller me rhabiller. Les titu-
laires enchaînaient les matchs.
Quand je vois qu’aujourd’hui
Anderlecht a un noyau de
36 joueurs… Si on reprend les
photos de notre équipe cham-
pionne (NdlR : champion avec
Anderlecht en 1968), les
joueurs ne se tiennent pas sur
trois étages (sourire). Il y avait
18 joueurs et c’est tout. Et qu’on
ne vienne pas me dire que nous
jouions moins dans notre
temps. Vingt équipes compo-
saient le championnat avec
38 rencontres à jouer. Il y avait
aussi la Coupe de Belgique et
puis la Coupe d’Europe, à la-
quelle de moins en moins de
clubs participent désormais.
Nous aimions enchaîner les ren-
contres tous les quatre jours.”
. Son départ vers l’Union
”Je travaillais comme employé
au secrétariat de M. Steppé. Un
de mes concurrents en attaque,
Gerardus Bergholtz, devait quit-
ter Anderlecht pour signer au
Crossing mais il n’a finalement
pas trouvé d’accord avec le club.
En tant que jeune, j’étais le
sixième choix… J’ai demandé si
je pouvais partir à l’Union et An-
derlecht a accepté. Les Unionis-
tes venaient de monter en Divi-
sion 1 alors qu’Anderlecht était
l’ogre qui venait d’être cham-
pion cinq fois de suite. Quand
on les affrontait, on se deman-
dait combien de buts on allait se
prendre (sourire). Mais un jour
nous sommes allés gagner à An-
derlecht ! Pierre Hanon (NldR :
ex-joueur mauve) avait dit à
son équipe qu’il n’y avait qu’un
seul joueur capable de marquer
et qu’il fallait le tenir : c’était
moi. Cela ne m’a pas empêché
de marquer et d’offrir la victoire
à l’Union (rires). Dans cette
équipe, nous étions des camara-
des, nous formions une cafe-
ploeg (NdlR : une équipe de
café). Tout le monde travaillait
en journée, je travaillais chez
Vanden Borre. À 18 h, nous nous
retrouvions à Forest pour un en-
traînement sur un terrain sans
lumière autour. Quand nous
n’avions pas envie de nous en-
traîner, nous shootions complè-
tement à droite du goal et nous
faisions mine d’aller chercher le
ballon dans les buissons com-
plètement à gauche… sans le
trouver, bien entendu (rires).
Après les matchs, que nous avi-
ons gagnés ou perdus, nous al-
lions boire un verre. Nous fai-
sions souvent la fermeture de la
buvette de l’Union. Un jour,
après une victoire contre un
gros adversaire, nous sommes
allés à plusieurs dans un café
dans lequel il y avait un aqua-
rium. Pour une tournée géné-
rale, Jacques Gérard et moi avi-
ons lancé le défi d’attraper un
poisson rouge et de le manger.
Tous n’ont pas osé et ont dû
payer la tournée (rires).”
. Son passage
chez les Diables rouges
“J’ai été sélectionné à 26 repri-
ses. Une des grosses déceptions
de ma carrière a été le fait de ra-
ter la Coupe du monde au Mexi-
que en 1970. Le comité de
l’Union belge était composé
d’une quinzaine de personnes et
il y avait 22 joueurs dans le
groupe. Il n’y avait que 35 places
pour partir. Au lieu de prendre
22 joueurs et d’enlever deux diri-
geants, ils ont préféré enlever
deux joueurs, moi et Henri Depi-
reux, pour permettre à tous les
dirigeants d’aller au Mexique.
Sur place, il y a eu une dispute
entre Pierre Carteus et Odilon
Polleunis. Quand j’ai entendu
cela, je me suis dit qu’ils allaient
être renvoyés et que le staff al-
lait nous appeler pour les rem-
placer. Mais la dispute a eu lieu
juste avant le début du tournoi,
après six semaines d’acclimata-
tion sur place. Si le Mondial
s’était joué en Espagne ou en
Italie, nous les aurions sûre-
ment remplacés.”
. Son non-départ
au Standard
“En équipe nationale, je cô-
toyais Christian Piot, gardien du
Standard. Un jour, nous affron-
tions l’Écosse à Liège. Après le
match, on m’annonce que Roger
Petit (NdlR : alors dirigeant
sportif du Standard) voulait
me parler. Je me suis demandé
quelle bêtise j’avais encore
faite… Nous avions peut-être
tous une grande gueule mais
quand M. Petit venait nous voir,
nous faisions moins les malins.
Il m’a dit qu’il me voulait au
Standard. Je lui ai répondu que
j’allais demander à ma femme,
qui a eu une réponse claire :
c’était non. À l’époque, il n’y
avait pas d’autoroute entre
Bruxelles et Liège. Il fallait pas-
ser par Louvain, Tirlemont puis
Saint-Trond pour arriver à Liège.
Ma femme considérait que cette
route était trop dangereuse que
pour la prendre quotidienne-
ment.”
. La crise du Covid-19
“Le 26 septembre 2020, je suis
allé voir RWDM – Union. J’étais à
table avec sept autres person-
nes. Le lendemain, cinq des con-
vives avaient le Covid, dont moi.
J’ai été plongé durant neuf jours
dans le coma avant de rester
huit semaines dans ma cham-
bre à la maison, tout seul. J’ai
perdu au total 9 kilos. J’ai gardé
quelques séquelles comme par-
fois des petites chutes de ten-
sion. Pour le reste, je garde des
séquelles physiques de ma car-
rière, surtout au niveau de mes
genoux. J’ai connu trois opéra-
tions et j’ai des difficultés à des-
cendre les escaliers. J’ai aussi
quelques coups sur les jambes
(il montre). Mais ça, c’est de
ma faute : c’est parce que je
jouais sans jambières (sou-
rire).”