Anonymes à l’Excelsior Virton, ils sont aujourd’hui en tête du championnat de Belgique avec l’Union: pour Anthony Moris, Loïc Lapoussin et Guillaume François, tout a commencé en Gaume.
L’Union est dans un fauteuil en tête de la D1A, grâce notamment à Loïc Lapoussin, Guillaume François et Anthony Moris.
Des négociations manquées et un pari osé les avaient amenés à l’Excelsior Virton puis les ont conduits à l’Union, où ils illustrent parfaitement le slogan ” De Bruxelles la fierté “. En 2020, lorsqu’ils ont quitté le club gaumais pour rejoindre Bruxelles, rien ne laissait pourtant présager du fait qu’Anthony Moris, Loïc Lapoussin et Guillaume François vivraient aujourd’hui un véritable conte de fées. Comme les trois-quarts des joueurs, le trio avait pris la direction du stade Marien pour lancer sa carrière au plus haut niveau ou pour la remettre sur rails.
Le Parisien avait quitté la capitale française pour Virton. ” J’étais en fin de contrat au Red Star et, à la fin, l’entraîneur ne me faisait jouer que sporadiquement “, raconte Loïc Lapoussin. ” C’est une tactique souvent utilisée: quand vous refusez de resigner, on vous mène la vie dure. Lorsque Virton a pris contact avec moi, en été, je n’étais pas très chaud. Ce n’était que la Belgique, et la D2 en plus. Mais les semaines passaient et je n’avais pas de proposition concrète alors je me suis dit qu’il valait sans doute mieux jouer en D2 qu’attendre quelque chose qui n’arriverait peut-être jamais. C’était le bon choix car j’y ai livré la meilleure saison de ma carrière. “
Moris et François étaient arrivés à Virton un an plus tôt, en 2018. François venait du Beerschot, avec qui il avait perdu le barrage contre le Cercle pour la montée en D1A. Il aurait pu resigner au Kiel pour un an. Moris était sous contrat à Malines, qui venait de descendre en D1B. ” Virton savait que je voulais plus de temps de jeu et ils m’avaient contacté dès le début du mois de juin “, explique le gardien. ” J’ai commencé à gagner du temps car un transfert en D1 amateur ne faisait pas partie de mon plan de carrière. “
Qui a convaincu qui d’aller à Virton?
GUILLAUME FRANÇOIS : C’était fifty-fifty. Virton n’arrêtait pas de nous appeler et ça nous a touchés. Il y avait un aspect sentimental: Virton, c’est le porte-drapeau de la région dans laquelle on a grandi. Si un club de la province de Luxembourg peut atteindre le sommet, c’est Virton. On a donc fait un pari: si l’un de nous deux signait, le deuxième devait suivre.
ANTHONY MORIS : Alors que je ne m’y attendais pas, Guillaume m’a appelé pour me dire que je devais prendre ma voiture et venir signer à Virton. Il a dit: ” J’ai accepté leur offre, tu es donc obligé de me suivre “. Salaud! Sur la route de Virton, on s’est arrêtés chez mes parents, qui avaient organisé un barbecue. On a bu quelques verres de rosé et on s’est regardés en disant: ” Qu’est-ce qu’on fait? On y va ou on fait demi-tour? ” On a fini par signer à Virton. (Il se tourne vers Lapoussin) Je te jure que ça s’est passé comme ça.
FRANÇOIS : C’était la deuxième fois que je choisissais de redescendre en D1 amateur. Avec le Beerschot, ça s’était bien passé car on avait directement été champions, mais je connaissais les risques. Il y avait une chance que je m’enterre définitivement. Qui allait venir rechercher un gars de 28 ans en D3? Heureusement, on a tout de suite été champions.
En D1B, Virton s’est renforcé en transférant Loïc. Vous n’aviez pas peur qu’il débarque en croyant savoir tout mieux que tout le monde?
MORIS: J’ai connu beaucoup de Parisiens au cours de ma carrière et je dois dire qu’il s’est bien intégré, car on parlait tous français. Ça a été sa chance. Je n’oublierai jamais son premier entraînement, en stage au Luxembourg. On devait disputer un match amical, mais l’entraîneur ne savait pas à quelle place Loïc jouait. Devant, derrière, dans l’axe, sur le flanc? (Il rit). Au coup d’envoi, Loïc a commencé à dribbler comme il le fait toujours aujourd’hui. Je me suis dit que ce gars-là avait quelque chose. Il est polyvalent et s’adapte tellement vite qu’aujourd’hui encore, peu d’entraîneurs savent quelle est sa vraie place.
Il vous est arrivé beaucoup de choses à Virton. Sur le terrain, ça a été un succès, mais il y a eu les ennuis extra-sportifs. Que retenez-vous de cette période?
FRANÇOIS : Certaines personnes diront qu’on a été naïfs de signer là-bas, mais je ne vois pas les choses de cette façon. On croyait dans les chances de réussite du projet qu’on nous avait présenté. Les responsables financiers et sportifs étaient des gens fiables. Un concours de circonstances et le Covid en ont décidé autrement.
MORIS: L’infrastructure était catastrophique. Les terrains étaient horribles et on devait se changer dans des containers transformés en vestiaires. C’est en arrivant à l’entraînement qu’on savait si nos équipements avaient été lavés ou pas. Parfois, la séance était annulée parce qu’on n’avait rien de propre à se mettre… Ça nous ruinait le moral. On peut tenir comme ça un an, voire deux, mais pas plus. Le week-end, on transformait l’énergie négative de la semaine en enthousiasme. Comme le déplacement le plus court, c’était l’Union – et je parle quand même de deux heures de car – on allait en mise au vert tous les quinze jours. Ça crée des liens. Au cours de cette période, j’ai compris combien l’aspect humain et l’homogénéité d’un groupe étaient des facteurs importants. Je suis content d’avoir connu la D1 amateur, j’y ai appris beaucoup de choses. C’est un monde qu’un footballeur pro ne peut pas comprendre s’il n’y a pas goûté.
Loïc, tu ne t’es jamais demandé si tu n’avais pas débarqué chez les fous?
LAPOUSSIN: Celui qui s’apitoie sur son sort ne va pas loin. Personne ne m’a forcé à aller à Virton, c’est moi qui ai pris cette décision et c’est l’un des meilleurs choix de ma carrière. Sans Virton, je ne serais pas à l’Union aujourd’hui. Je trouve que les Français devraient avoir plus de respect pour le championnat belge. Les joueurs commencent à s’en rendre compte, car je suis souvent contacté par des joueurs français qui veulent venir ici.
En 2019-2020, Virton était la meilleure équipe de D1B puisque c’est vous qui, sur les deux tours, avez pris le plus de points, avec un football souvent spectaculaire. Ce n’est donc pas un hasard si l’Union a pris quatre joueurs de cette équipe.
MORIS: Au départ, l’Union nous voulait Loïc et moi. Après, elle a encore transféré Edisson Jordanov et Guillaume, que Felice connaissait de Charleroi. Felice voulait encore d’autres joueurs, mais il ne pouvait pas transférer toute l’équipe.
LAPOUSSIN: On a convenu d’un contrat d’un an avec option pour une saison supplémentaire. C’était ce que je voulais. J’avais envie de montrer sur le terrain que je méritais de signer pour plus longtemps.
Les joueurs qui optent pour l’Union justifient souvent leur choix par le charme du stade et le glorieux passé du club. Est-ce que c’est aussi ça qui vous a incités à rejoindre le parc Duden?
LAPOUSSIN : J’avais entendu dire que l’Union était un club mythique, mais je n’en savais pas plus. Maintenant que j’y suis, je constate que les ressemblances avec le Red Star sont frappantes. C’est plus chouette de jouer pour un club qui a une histoire que pour un club normal.
MORIS : Je savais ce que l’Union représentait et je voulais être le gardien qui la ramènerait en D1A 48 ans plus tard. Il y a d’ailleurs un lien avec mon équipe nationale puisque le président de la fédération luxembourgeoise, Paul Philipp, était le dernier buteur de l’Union en D1 avant cette saison. C’est beau, non?
Hormis quelques joueurs, l’Union est composée de gars qui n’avaient jamais joué en D1. C’est pour ça que ce groupe a tellement faim?
FRANÇOIS : En début de saison, j’ai lu des tas de choses à notre propos. L’Union était un oiseau pour le chat, le groupe n’était pas suffisamment expérimenté. Voyez où en sont aujourd’hui Teddy Teuma, Deniz Undav et Christian Burgess. Ils n’avaient jamais joué en D1, mais ce sont eux qui forment l’épine dorsale de l’équipe. Ils jouent comme s’ils étaient les patrons de la D1. Ils ont tellement de maturité qu’on dirait qu’ils ont 150 matches au plus haut niveau dans les jambes.
LAPOUSSIN : En football, tout va très vite. Beaucoup de joueurs de l’Union avaient les qualités intrinsèques pour jouer en D1, mais ils n’avaient jamais reçu leur chance.
Tu en fais partie, Loïc. Il y a deux ans, tu étais un joueur anonyme de Virton et maintenant, tu es la star de Madagascar.
MORIS : Madagascar? Ça ne compte pas, ça ( Il rit).
LAPOUSSIN : Je sais d’où je viens. Des gens ont eu la vie dure, mais moi aussi. J’ai bossé pour arriver aussi loin et ça m’aide à garder les pieds sur terre.
MORIS : Chaque joueur de l’Union a la même histoire. On n’a pas un beau trajet linéaire derrière nous. On était dans la merde et on a dû retrousser nos manches pour s’en sortir. C’est pour ça qu’on apprécie plus que n’importe qui ce qui nous arrive actuellement. On est en tête, mais on sait aussi que la chute peut être dure.
Le fait que vous dominiez le championnat depuis des mois en dit-il long sur le niveau de celui-ci? Ou vous fait-on injure en disant ça?
FRANÇOIS : On a entamé la saison avec de l’avance sur les autres, car ça faisait plus d’un an qu’on connaissait la philosophie de l’entraîneur. Dès le premier match, on était rodés alors que les autres se cherchaient encore. Je ne dirais donc pas qu’il y a un nivellement par le bas, mais les grands clubs n’ont pas toujours répondu présent, c’est un fait. Implanter une vraie philosophie, même avec des joueurs moins connus, c’est plus important que de vouloir construire une équipe avec des stars qui coûtent cher et se fichent de l’esprit d’équipe.
MORIS : Je crois qu’ici, il n’y a pas de place pour les vedettes. J’ai connu les vestiaires de Malines et du Standard, mais je ne trouverai sans doute plus jamais un groupe comme celui de l’Union. On est tolérants, on ose se dire les choses en face: ” Tu as commis une erreur, n’en parlons plus ” . Dans d’autres vestiaires, ça ne marche pas car l’ego de certains joueurs prend le dessus. Nous, les plus âgés, on ne se comporte pas en flics. On est les grands frères, on avertit les jeunes des dangers auxquels ils risquent de devoir faire face au cours de leur carrière. On ne leur demande pas de laver nos chaussures, comme j’ai dû le faire quand je suis arrivé chez les pros.
LAPOUSSIN : Je n’ai jamais connu ça en France mais si aujourd’hui un joueur plus âgé me demandait de laver ses godasses, je le ferais. Le respect de la hiérarchie, c’est la base.
FRANÇOIS : Il ne faut pas non plus sous-estimer les capacités de manager du coach. Il justifie chacun de ses choix sportifs et il met un point d’honneur à rendre chaque moment passé ensemble agréable. Il nous respecte et l’inverse est tout aussi vrai. Même s’il est toujours plus facile de souder un groupe quand on gagne.
Fin août 2020, vous avez disputé votre premier match sous le maillot de l’Union à Deinze, qui s’était bien renforcé. Après 55 minutes, vous meniez 0-1 et vous avez eu un exclu mais vous l’avez tout de même emporté 0-2. C’est ce jour-là que vous avez jeté les bases du succès actuel?
LAPOUSSIN : Je ne dirais pas que tout a commencé à Deinze car à ce moment-là, on n’avait pas encore trouvé l’équilibre dans l’équipe. Il fallait encore que la mayonnaise prenne. Former une équipe avec un nouvel entraîneur et de nouveaux joueurs, ça prend du temps.
FRANÇOIS : Pour moi, le tournant, c’est le match face au RWDM. On a pris une prune dans le derby et, le lundi, Mazzù a tenu une sorte de réunion de crise avec les joueurs. Son message était le suivant: ” Les gars, contre le RWDM, je n’ai pas vu un groupe sur le terrain. Comme ça, on n’y arrivera pas. ” On devait être champions. Point final. Et il nous a fait comprendre que pour y arriver, l’esprit de groupe serait crucial.
MORIS : On a alors pris l’initiative d’organiser un team building au centre d’entraînement et le staff a tout de suite dit que c’était une bonne idée. Bières, poker, ping-pong, PlayStation, pizzas, etc. On en a longtemps parlé. Quand on a passé une chouette soirée avec un gars, on est prêt à faire plus d’efforts pour lui par la suite.
Est-ce que ce fut aussi l’occasion de découvrir des gars dont vous n’étiez pas très proches?
FRANÇOIS : J’essaye de parler avec tout le monde et je me souviens avoir utilisé mon meilleur anglais pour discuter longuement avec Jonas Bager, Casper Nielsen, Christian Burgess et Aron Sigurdarson. C’est ce soir-là que les liens se sont ressoudés.
MORIS : Vous savez ce qui ne va pas dans le monde du football? On juge ses équipiers sans même connaître l’homme. Quand on le comprend, il est plus facile de le supporter. De ce point de vue, la direction de l’Union a fait du bon travail: elle engage des gens qui mettent leurs qualités au service du collectif. Après la défaite au RWDM, on avait beaucoup de blessés et de suspendus. On a donc dû affronter Lommel en 3-5-2. On était menés 1-2 au repos, mais on a fini par l’emporter 4-2….
LAPOUSSIN : À partir de ce jour-là, on a dominé le championnat.
On peut dire que vous avez relancé la carrière de Mazzù, car son contrat d’un an n’aurait pas été prolongé si vous n’aviez pas été champions.
FRANÇOIS : Vous voulez dire qu’il devrait nous remercier? (Il grimace). Je pense que Felice était avant tout heureux de relever un défi excitant à l’Union. Il avait sans doute de la pression et c’est sûrement pour ça qu’il a organisé cette réunion après la défaite face au RWDM. Mais je ne pense pas qu’on l’aurait enterré si l’Union n’était pas montée. En Belgique, il y a une valse des entraîneurs chaque année et Felice aurait retrouvé du boulot ailleurs.
” Si j’avais eu du sang luxembourgeois, j’aurais fait pareil “
Anthony et Guillaume, ça fait quatre ans que vous jouez ensemble. On peut dire que vous êtes amis?
GUILLAUME FRANÇOIS : En football, on va et on vient, c’est difficile de se faire des amis. Thomas Meunier, qui est aussi de la Province de Luxembourg, et Antho sont les rares joueurs que je considère comme de vrais amis. Comme on s’intéresse aux mêmes choses, il n’est pas impossible qu’Anthony et moi lancions un projet commun à la fin de notre carrière. On se connaît depuis longtemps. Je suis originaire de Champlon, un petit village au coeur des Ardennes, et il vient de Habay, en Gaume. Les deux communes ne sont distantes que d’une heure en voiture et on a déjà joué l’un contre l’autre. À l’âge de dix ans, on a même fait partie de la sélection provinciale du Luxembourg. Je suis resté longtemps dans le club de mon village alors qu’il est parti très jeune au Standard. C’est ça, hein?
ANTHONY MORIS : Le Standard venait voir Guillaume chaque année, mais ses parents n’avaient pas envie de faire la navette entre Champlon et Liège toutes les semaines. Et l’année où il était prêt à venir, le Standard l’a refusé. Alors, il a opté pour Mouscron.
GUILLAUME FRANÇOIS : On s’est un peu perdus de vue, mais on s’est retrouvés en équipe nationale U19 et U21. J’ai vite compris que je ne serais jamais Diable rouge et Anthony a fini par opter pour l’équipe nationale luxembourgeoise. Si j’avais eu du sang luxembourgeois, j’aurais fait pareil, mais contrairement au père d’Anthony, je n’ai pas fouillé dans mon arbre généalogique. J’ai demandé à mes parents, mais il n’y avait aucun lien. La soeur de mon père vit au Luxembourg et est mariée à un Luxembourgeois, mais ce n’était pas suffisant pour que j’aie un passeport luxembourgeois (Il rit).