Passionné par la formation, Joël Crahay
raconte les difficultés rencontrées à l’Union
et son nouveau défi à Charleroi.
C’ est férié ce lundi
1
er novembre. Pas
un chat à l’horizon
sur le site de la Ze-
bra Belfius Academy, à Marci-
nelle. Pas un ballon qui roule,
pas un cri de joie ni une consi-
gne tactique qui s’échappe.
Juste le bruit léger des feuilles
mortes et l’envol de quelques
mouettes qui erraient sur
l’une des pelouses verdoyan-
tes.
Un homme attend devant
l’entrée principale : Joël Cra-
hay. Depuis mai, il est le res-
ponsable du recrutement du
centre de formation du Spor-
ting de Charleroi. Avant ça, il
occupait la fonction de res-
ponsable technique de la for-
mation à l’Union saint-
gilloise. Un chantier d’enver-
gure qu’il a écourté pour
s’inscrire dans le projet plus
stable, plus avancé et, il l’es-
père, plus durable, au Spor-
ting.
◾ D’Arsenal à Charleroi
en passant par l’Union
Cela peut sembler étonnant
mais le Brexit a chamboulé la
vie professionnelle de Joël Cra-
hay. Avant d’être responsable
de la formation à l’Union, de
2020 à 2021, le Bruxellois scru-
tait pour Arsenal. “À cause du
Brexit, la cellule de détection a
explosé. Le recrutement des jeu-
nes s’en retrouve perturbé pour
les clubs anglais avec notam-
ment d’énormes contraintes ad-
ministratives et légales. Je pros-
pectais en Belgique et aux Pays-
Bas pour ce géant d’Europe mais
on m’a annoncé qu’on ne conti-
nuerait pas et qu’il ne garderait
que des professionnels à 100 %.”
On est en mai 2019. Joël Cra-
hay active alors ses contacts
pour retrouver un poste au
moins à mi-temps. C’est que
cet ancien joueur, formateur
dans l’âme, enseigne déjà le
football dans le sport-étude à
l’Institut Redouté Peiffer, à
Bruxelles. Et bien que la
soixantaine se rapproche, il
entend bien nourrir sa pas-
sion dans un autre club pro.
“Via un ami, j’ai appris que
l’Union cherchait quelqu’un. J’y
avais joué en jeunes et entraîné
en D3. J’étais enthousiaste. J’ai
rencontré Jean-Marie Philips et
Philippe Bormans, qui m’ont as-
sez rapidement donné leur ac-
cord et j’ai signé pour un an.”
Mais dès le mois de
mars 2020, il sent le vent tour-
ner. “Alors que j’anticipais les
budgets et l’organisation pour la
saison suivante, j’ai senti que
quelque chose clochait. J’ai solli-
cité M. Bormans (NdlR : le CEO)
plusieurs fois, sans réponse. Puis
OHL, Charleroi et le Cercle ont
demandé à me rencontrer. J’ai
laissé la priorité à l’Union mais
j’attends encore leur réponse…
J’ai finalement accepté le défi de
Charleroi, un club qui s’est déjà
fameusement développé depuis
mon premier passage ici il y a
presque dix ans, avec un synthé-
tique et le nouveau bloc bâti-
ments, bureaux et vestiaires.”
Le budget annuel alloué au
centre de formation avoisine
les 2 millions € à Charleroi,
pour environ 300 jeunes.
L’Union pointe à 500 000 €
pour 400 joueurs.
◾ La formation à l’Union,
“un marécage”
Au petit jeu des comparai-
sons, Joël Crahay n’y va pas
par quatre chemins : “Je suis
très heureux des résultats de
l’équipe première de l’Union.
Très heureux de voir ce stade my-
thique qui vibre, ce staff qui tra-
vaille très bien. Il faut pérenniser
tout ça et voir à plus long terme.
Mais l’équipe A est l’arbre qui ca-
che la forêt. Et la forêt, c’est un
marécage.”
Les mots sont durs. À
l’image du constat posé, qui
ne vaut d’ailleurs pas que
pour l’USG : les clubs aux
mains de propriétaires étran-
gers, de plus en plus nom-
breux en Belgique, se désinté-
resseraient-ils de la forma-
tion ? “Ma vision, et je pense
qu’elle n’est pas loin de la vérité,
c’est que quand on a des inves-
tisseurs étrangers, les jeunes du
cru ne reçoivent pas tellement
d’attention. On dit qu’il y a un
projet de formation parce que
c’est obligatoire mais, concrète-
ment, il n’y a pas grand-chose
derrière… Combien de ces clubs
se donnent les moyens et
ouvrent vraiment la porte de
leur équipe première à leurs jeu-
nes ? Très peu.”
Une anecdote pour nous
éclairer : “La saison dernière à
l’Union, on avait une excellente
équipe de U21, 2e
après dix
matchs, mais elle a été complète-
ment démantibulée depuis mon
départ. J’ai des parents qui m’ap-
pellent pour faire sortir leur en-
fant de là. L’encadrement n’est
pas suffisant. Le centre de forma-
tion appartient à la commune et
pas au club ; les vestiaires sont
catastrophiques, tout comme le
réfectoire. Je travaillais dans une
buvette avec une secrétaire ins-
tallée dans un bureau de 2 m2.”
Mais Joël Crahay garde es-
poir pour son club de cœur.
“J’ai eu du mal à quitter l’Union.
Et je maintiens que le club, à
terme, avec un minimum d’in-
vestissement et en comprenant
la mentalité bruxelloise, ne se-
rait pas loin d’Anderlecht en ter-
mes de formation. Parce qu’il y a
beaucoup de talents. Mais j’es-
time qu’on ne m’a pas donné les
outils pour mener mon projet à
bien ou alors on n’y croyait pas.”
Il poursuit et illustre ses
propos : “En octobre, j’ai pré-
venu la direction que certains
joueurs, dont Abderahmane
Soussi et Ilyes Ziani (18 ans),
étaient sollicités par de grands
clubs, dont l’Antwerp. Je voulais
“À l’Union, l’équipe A est l’arb re qui cache
la forêt. Mais la forêt, c’est un marécage”
qu’on les mette sous contrat
pour les fidéliser. On m’a ré-
pondu : ‘Laissons-les partir !’ Ils
ont quand même signé Ziani,
mais Soussi a rejoint l’Antwerp
et compte déjà des apparitions
en D1. Dès ce moment-là, j’ai
compris que j’allais partir. Je me
demandais à quoi je servais.”
◾ À Charleroi,
“cela donne du sens”
Pour autant, l’herbe est-elle
plus verte ailleurs ? À Charle-
roi, par exemple ? “Ce qui m’a
plu, c’est que, ce que Mehdi
Bayat avait annoncé (NdlR : le
plan 3-6-9 puis Horizon 2024),
c’est fait ! Ou c’est au moins en
cours. Il veut ouvrir la porte de
l’équipe première à des jeunes et
c’est ce qui se passe avec Wa-
sinski, Tchatchoua, Descotte…
Cela donne du sens au travail
des formateurs et une perspec-
tive aux joueurs. D’ailleurs, je
suis souvent positivement sur-
pris de la réaction des parents
lorsque je leur parle de rejoindre
le Sporting. Les échos et l’image
à l’extérieur sont positifs, ce qui
est relativement nouveau. Je
veux m’inscrire ici sur la durée.”
Le ciblage comme mot d’ordre
Joël Crahay raconte le fonctionnement
du recrutement de l’académie zébrée.
A u fait, à quoi ressem-
ble une semaine-type
pour un responsable du re-
crutement d’un centre de
formation ? Et comment ça
fonctionne ? “Le directeur,
c’est Alain Decuyper. Et Chris-
tophe Dessy est responsable
sportif. Moi, je m’occupe du re-
crutement des U7 aux U21, dé-
taille Joël Crahay. On a neuf
scouts qui vont voir des
matchs chaque semaine. Ils
sont répartis par province.”
C’est un secret de Polichi-
nelle, Namur et Luxem-
bourg sont un peu les pa-
rents pauvres de la forma-
tion. Joël Crahay ne le nie
pas, ce sont les provinces les
moins scrutées.
“Notre premier vivier, c’est
le Hainaut, puis le Brabant
wallon. Des U7 aux U12, on
travaille dans un secteur de
40 à 50 km maximum autour
de Charleroi pour éviter que
les parents n’aient trop de
route ou que les enfants
soient trop dépaysés – notam-
ment au niveau de la scolarité
– ou trop vite dégoûtés. À par-
tir des U13, on recrute plus
large, plus national, et on pro-
pose l’internat comme alter-
native scolaire.”
Les semaines sont bien
remplies. “Le lundi, je centra-
lise les rapports qui sont éta-
blis sur différents critères tech-
niques, physiques et compor-
tementaux ; et j’organise le
planning des prochains scou-
tings. Je complète mes bases
de données et je vais suivre un
match de U21 Élites. Le mer-
credi ou le jeudi, on enchaîne
les réunions et les évaluations
des joueurs qui ont obtenu
des rapports positifs. Je
prends ensuite contact avec
les parents des joueurs con-
cernés pour fixer une entrevue
dans le but d’expliquer le pro-
jet du club. Parfois aussi, mal-
heureusement de plus en plus
tôt, avec leur agent.”
Ça, c’est pour l’approche
globale, du mois d’août à fin
octobre. Ensuite, vient la
partie plus spécifique.
“À partir de novembre, on
cible davantage les profils
dont on a besoin pour la sai-
son d’après. En U15, on sait
par exemple qu’on recherche
quatre profils bien définis.
Plus on se rapproche des U21,
plus on cible en fonction de
l’équipe première.” Exemple :
“Pour l’instant, on remarque
qu’on présente un déficit de
gauchers après les U15. C’est
une priorité.”
Des journées de détection
sont également organisées.
Nous y avons assisté, ce mer-
credi. Elles sont plutôt desti-
nées à des joueurs issus de
clubs moins huppés, des en-
fants qui n’évoluent pas en-
core en Élites. Mais elles per-
mettent de ratisser large et
d’éviter qu’une éventuelle
pépite n’échappe aux ra-
dars.
“L’idée de l’Antwerp ? Un scandale !”
Six Belges sur la feuille de match ?
“Pourquoi pas huit ?”, suggère Joël Crahay.
R écemment, l’Antwerp a
manifesté son souhait
de faire supprimer la règle
qui impose aux équipes de
Pro League d’inscrire au mi-
nimum six joueurs belges
(ou considérés comme tel,
c’est-à-dire formés au moins
trois ans de suite en Belgique
avant leurs 23 ans) sur la
feuille de match. Selon le
club anversois, cette règle
constitue “une entrave à la li-
bre circulation des travailleurs
et à la libre concurrence”.
Joël Crahay dégaine : “C’est
un scandale ! Comment un club
qui vient d’investir des millions
d’euros dans son centre de for-
mation peut-il tenir un tel dis-
cours ? Où va-t-on ? Ne pense-t-il
qu’au trading de joueurs ?”
Lorsqu’on lui pose la ques-
tion, le Bruxellois va même
plus loin. “Pourquoi ne pas en
imposer huit au lieu de six,
même s’ils sont ballottés entre
les U21 et les A dans un premier
temps ? La relève, c’est eux !
Sans être utopique non plus, 0
parce qu’on ne peut pas le faire
avec cinquante jeunes.”
Il en est persuadé : aligner
ses Espoirs en D1B, comme a
pu le faire le FC Bruges la sai-
son dernière, est une béné-
diction. “Grâce à ça, Bruges a
gagné trois ans. À Charleroi, on
espère terminer entre la 5e
et la
8e
place pour que l’équipe soit
en Nationale 1 la saison pro-
chaine. Ce serait mieux que la
D2 amateurs où les terrains et
les infrastructures sont moins
bons pour le développement
des jeunes.”
Ce qui doit rester la prio-
rité…
Philippe Bormans :
“Il savait qu’on partait de loin à l’Union”
À l’Union Saint-Gilloise, le départ de Joël Crahay vers Char-
leroi a suscité un certain étonnement. “On était d’accord
pour travailler sur le long terme, mais c’est lui qui a décidé
de partir après un an”, explique Philippe Bormans, le CEO.
“Il savait dans quoi il s’engageait chez nous, et il savait qu’on
partait de loin vu nos problèmes d’infrastructures. La priorité
lors de l’arrivée des nouveaux propriétaires était de monter
en D1A, puis de nous concentrer pour mettre une structure
en place chez les jeunes. C’était son rôle de la construire,
mais avec seulement un mi-temps au club, il n’aurait pas pu
s’occuper de tout. On a voulu qu’il se concentre uniquement
sur le jeu à onze, ce qu’il n’a pas spécialement accepté. Et,
bizarrement, quelques jours après son mail annonçant son
départ, il signait à Charleroi. C’est dommage.”
Philippe Bormans apporte également quelques chiffres sur
la situation actuelle de la formation à l’Union, à savoir un bud-
get annuel hors subsides avoisinant les 500 000 € pour un to-
tal d’environ 400 jeunes répartis entre les catégories Élites 2
et Iris. “On poursuit notre chantier”, conclut-il.