L’
Union est un club à
part dans le paysage
footballistique
belge. Un club capable de
rameuter les foules pour
une belle soirée d’Europa
League le jeudi soir. Puis
d’organiser le lendemain
midi une conférence de
presse dans l’anonymat gé-
néral, avec un seul journa-
liste présent, pour préfacer
le déplacement au Cercle
Bruges. Le tout dans une
salle du centre d’entraîne-
ment décorée de guirlan-
des et de ballons pour l’an-
niversaire des 50 ans à ve-
nir d’une membre du club
sportif où s’entraînent les
Bruxellois…
La singularité du mo-
ment était l’occasion de se
poser plusieurs minutes
en tête-à-tête avec Alexan-
der Blessin. Pour mieux
connaître le personnage se
cachant derrière l’entraî-
neur de ce club réellement
à part. Via cinq questions
sans détour.
Le fait que plus personne ne
parle de Karel Geraerts à
l’Union, est-ce une réussite
personnelle ?
“(Rires) Je ne veux pas
parler du passé. La saison
dernière, les gens ne par-
laient plus de Mazzù et
c’était la preuve que Ge-
raerts faisait du bon travail.
Finalement, tous les deux
ont fait du très bon boulot.
De notre côté, nous sommes
en mission et je vois une
belle progression dans
l’équipe donc je dirais seule-
ment que nous sommes
dans la bonne direction.”
En quoi votre période sans
club, avant d’arriver à
l’Union, vous a permis d’être
un meilleur entraîneur ?
“Ma période au Genoa
m’a aidé à être plus ouvert
d’esprit. Ensuite, quand
j’étais sans club, j’ai eu le
temps de réfléchir à ce qui
avait été bon et mauvais
durant cette période en
Italie. Un coach m’a dit un
jour : ‘en football, l’expé-
rience est le plus impor-
tant.’ Je ne sais pas si mes
expériences du passé m’ont
permis d’être un meilleur
entraîneur mais cela m’a
permis d’évoluer. Après la
victoire face à Anderlecht en
ouverture de championnat,
j’étais vraiment très heureux
car c’était une sorte de
délivrance. Quand vous êtes
six mois en dehors du foot-
ball, un manque se fait
ressentir. Alors quand votre
nouveau club bat une
grande équipe du cham-
pionnat avec la manière
pour vos débuts, cela donne
beaucoup d’émotions.”
Vous êtes vu comme un
coach très proche des
joueurs, sur et en dehors des
terrains, jamais avare d’une
blague : la communication
est-elle la clé pour un entraî-
neur ?
“Il faut que la relation soit
claire entre les joueurs et
l’entraîneur. Ils doivent avoir
le sentiment d’être avec un
coach qui leur fait confiance
et qui est toujours prêt à les
écouter. J’aime rigoler avec
mon groupe tout en étant
transparent avec eux en leur
disant que, quand nous
sommes sur le terrain, nous
devons être focus sur notre
mission. Mais le plaisir est
très important car quand
vous prenez du plaisir, vous
performez mieux. Il faut
trouver la bonne balance
entre le travail et le plaisir.”
Pour les entraîneurs comme
les joueurs, la gestion entre
la vie privée et la vie profes-
sionnelle est difficile. Com-
ment parvenir à gérer les
problèmes privés sans que
cela n’influe sur le football ?
“C’est très difficile car, en
travaillant dans le monde
du football, nous sommes
dans une bulle. D’un côté,
nous devons être des modè-
les pour l’extérieur et avons
des responsabilités envers
les gens. Surtout dans un
club familial comme l’Union.
Et d’un autre côté, il faut
savoir gérer toute cette
pression liée au métier de
footballeur ou d’entraîneur.
C’est le plus beau métier du
monde car on peut prati-
quer sa passion et gagner
beaucoup d’argent mais cela
demande énormément de
discipline. Et pour cela, il
faut être bien entouré.”
Vous avez 50 ans depuis
quelques mois. Qu’est-ce
que cela a changé dans votre
vie ?
“Je tiens à dire que j’ai un
âge biologique de 38 ans
(rires). Je suis en forme
physique et je suis resté actif
ces dernières années. Cin-
quante, c’est simplement un
nombre pour moi. Le plus
important est ce qu’on
ressent à l’intérieur de soi.
Parfois, je fais des blagues
avec mes enfants ou avec
mes joueurs comme si
j’avais leur âge. Finalement,
le plus important est de
profiter de la vie peu im-
porte son âge.”
Le temps où le Cercle
était une punition pour
les Monégasques est terminé
S
i vous voulez énerver
les salariés de
l’Union, c’est très
simple : vous leur dites que
leur club est l’équipe B de
Brighton. À Saint-Gilles, on
a réussi à montrer que les
deux équipes, où Tony
Bloom est actionnaire à
chaque fois, vivaient leur
propre vie, en se donnant
parfois quelques coups de
main.
Cette sensibilité est en-
core plus forte à Bruges, où
le Cercle est directement
propriété de l’AS Monaco.
Mais n’allez pas dire dans la
Venise du Nord qu’on y voit
la réserve monégasque
avec un maillot vert et noir.
Ce qui était vrai lors du ra-
chat à l’été 2017 ne l’est plus
du tout six ans plus tard.
“On ne va plus revenir à un
Monaco B”, assure Rembert
Vroman, le nouveau direc-
teur sportif du Cercle, éton-
nant quatrième en Pro Lea-
gue.
Cette étiquette n’a pas
été simple à décoller. Parce
qu’elle a été vraie pendant
les premières années. Avec
sept joueurs de Monaco
prêtés dès le début, quand
le Cercle était encore en D2.
“À l’époque, être loué à Bru-
ges était une punition, expli-
que un proche d’un joueur
qui a vécu ce passage. Per-
sonne à Monaco n’avait envie
d’y aller. Les gars préféraient
rester dans le noyau B. Ils
pensaient qu’ils allaient se
perdre au Cercle, se faire
oublier.”
À part Cardona et Tor-
min, les onze autres
joueurs prêtés lors des
deux premières saisons
n’ont d’ailleurs pas de vraie
plus-value. Il faut attendre
2020 pour que la stratégie
évolue dans le bon sens. “Le
directeur sportif Carlos Avina
a réalisé du très bon travail”,
félicite le Brésilien Thiago
Scuro, le nouveau directeur
du football de Monaco.
. Trois joueurs de
Monaco prêtés cet été
mais sans obligation
de temps de jeu
Avina, qui n’a pas encore
30 ans en débarquant du
Mexique pour gérer le Cer-
cle en septembre 2020, tra-
vaille à la propre identité
brugeoise. Il limite par
exemple le nombre de
prêts par saison. De sept la
première saison et six la
deuxième, on passe à seule-
ment deux lors de son pre-
mier mercato. Puis chaque
fois trois les deux années
suivantes.
Et les joueurs débar-
quent de Monaco avec une
autre mentalité. “On a vrai-
ment vu un changement avec
les arrivées enthousiastes
d’Utkus et de Popovic, se sou-
vient Hannes Van Der Brug-
gen, l’un des anciens chez
les Brugeois. Avant je jouais
contre le Cercle avec Courtrai
et je voyais bien que les jeu-
nes de Monaco n’étaient pas
motivés. Aujourd’hui, les gars
qui débarquent chez nous sa-
vent qu’ils arrivent dans un
club bien structuré et qui tra-
vaille de manière très pro.
Cela change la donne.”
Un changement d’état
d’esprit qui s’est fait en
deux temps : augmenter
l’exigence quotidienne au
Cercle pour arriver dans les
standards monégasques et
écoler les jeunes sur le Ro-
cher. “On montre aux joueurs
qu’aller au Cercle est un privi-
lège, reprend Scuro. Jouer
en D1 belge, ce n’est pas ano-
din. Pour nous, c’est le
meilleur endroit possible
pour développer un joueur.
On en parle beaucoup à nos
jeunes. Ils savent que le Cer-
cle fait du bon travail en Bel-
gique.”
Les trois joueurs prêtés
cet été n’ont pas encore
énormément joué avec le
Cercle, mais ce n’est pas
une inquiétude pour Scuro
depuis Monaco. “Semedo
commence à être titulaire
tandis que Lemaréchal et
Etonde sont arrivés en fin de
mercato. Il faut leur laisser
du temps. Je suis persuadé
qu’ils pourront aider l’équipe
cette saison. On ne loue pas
des joueurs pour s’en débar-
rasser mais parce qu’on croit
en leur développement au
Cercle. Il est quand même im-
portant de préciser qu’il n’y a
aucune obligation pour le
staff brugeois. C’est le coach
qui décide. On respectera tou-
jours ses décisions.”
L’étiquette Monaco B
s’est aussi détachée grâce
aux résultats du Cercle.
Deuxième des Europe
Playoffs l’an passé et à nou-
veau dans le même rythme
cette saison, voire mieux.
“On veut devenir de plus en
plus fort avec le Cercle. On
veut s’installer de façon plus
régulière dans le top 5 et
jouer l’Europe, ambitionne
Scuro. Pour notre président
(NdlR : Dmitry Rybolovlev),
le Cercle joue un rôle impor-
tant dans la stratégie. Le plan
pour les trois prochaines an-
nées est en place. Cet été, on
a signé un joueur comme
Minda (NdlR : acheté 2 mil-
lions) qui est un jeune inter-
national A d’Équateur. On
était aussi sur d’autres ta-
lents étrangers. Étape par
étape, on montrera que le
Cercle devient de plus en plus
compétitif et donc plus inté-
ressant pour séduire des
joueurs.”
Comme un symbole de
cette stratégie, la balance
des transferts du Cercle
était positive cet été, pour
la toute première fois de-
puis le rachat par Monaco.
Grâce à la vente record
d’Ueda pour neuf millions
à Feyenoord. Avant ça, ça
penchait à chaque fois du
mauvais côté. Avec 13,9 mil-
lions en négatif sur le mar-
ché des transferts en-
tre 2017 et 2022 (selon
Transfermarkt).
L’idée aujourd’hui est de
faire du Cercle un club ren-
table, par lui-même mais
avec l’aide de son grand
frère. Sur le modèle Red
Bull. Et ça tombe bien,
Thiago Scuro est arrivé cet
été à Monaco en droite li-
gne du Red Bull Bragantino
au Brésil. Ne pas juste faire
de l’argent avec le dévelop-
pement des joueurs loués à
Bruges (les prêtés ont jus-
qu’à présent rapporté
18,3 millions par des reven-
tes à l’ASM) mais réaliser de
la plus-value grâce à des
éléments du Cercle qui ne
seront pas passés par la
case monégasque.
Tout ça n’empêche pas
les passerelles entre Mo-
naco et Bruges. Les princi-
pes de jeu sont exactement
les mêmes, les compéten-
ces en termes de travail
athlétique et de diététique
sont partagées, les datas
sont disponibles pour les
deux clubs et les différents
staffs se rencontrent régu-
lièrement, notamment
lundi passé lors d’un ami-
cal entre le Cercle et
l’équipe U23 monégasque
(2-2).
Scuro compte encore
renforcer les échanges. “De-
puis mon arrivée, je travaille
pour que ces concepts soient
le plus clair possible pour
tout le monde. De par mon
expérience chez Red Bull, je
suis convaincu qu’on peut en-
core faire mieux entre Mo-
naco et le Cercle. Le travail
des dernières années a déjà
amélioré beaucoup de cho-
ses. Mais rester constant au
top est un autre challenge.
On doit encore plus travailler
à l’intégration des concepts.
On ne voit pas le Cercle
comme une équipe qui doit
servir Monaco. C’est une en-
tité à part entière. Chez Red
Bull, il n’y a aucun club qui
est au service d’un autre.”
. Bientôt un problème
de riche comme
à l’Union ?
Monaco, actuel leader en
Ligue 1, reste le sommet de
la pyramide. Et la promo-
tion du Cercle vers le Ro-
cher est possible. Avina, de-
venu directeur technique
de l’ASM, en est le plus bel
exemple. “C’est le résultat de
son très bon travail au Cercle,
précise Scuro. C’est un mes-
sage clair à tout le monde :
peu importe le rôle, le bon
travail peut permettre de
franchir le pas vers Monaco.”
Cet été, le Cercle a vendu
son Diable Olivier Deman
au Werder Brême pour qua-
tre millions. Et un autre
joueur est devenu interna-
tional A depuis : Hugo Si-
quet. “Il n’y a aucune obliga-
tion de venir à Monaco,
coupe Scuro. On respecte le
marché et les joueurs. Si on a
une possibilité de transférer
un joueur du Cercle, on discu-
tera avec la direction à Bru-
ges. Et évidemment on paiera
comme dans n’importe quel
transfert. Plus le Cercle sera
fort et plus les joueurs attire-
ront les regards. Pas unique-
ment de Monaco. La vente
d’Ueda est une belle preuve
du respect pour le Cercle sur
le marché européen.”
Et dans quelques mois à
Bruges, on se créera peut-
être le même problème de
luxe qu’à l’Union avec Bri-
ghton : que faire si Monaco
et le Cercle se qualifient
pour la même compétition
européenne ? “On respec-
tera le règlement de l’UEFA”,
répond-on poliment à Mo-
naco. Via une adaptation
dans l’actionnariat ? La
question pourrait vite se
poser au rythme de la pro-
gression du Cercle.