Paul Van den Berg (85 ans), la plus grande icône de
l’Union qui a aussi joué à Anderlecht, parle très rarement
aux médias. Il l’a fait pour La DH à la veille du derby.
I
l est l’Unioniste avec le plus de ca-
pes (38) et de buts (16) chez les
Diables rouges et sans doute le
meilleur joueur de l’histoire du
club. “Je préfère que vous disiez ‘le plus
emblématique’”, nuance l’ex-meneur
de jeu Paul Van den Berg, encore en
parfaite forme malgré ses 85 ans.
L’ancien artiste et icône du Parc Du-
den n’a jamais aimé être sous les pro-
jecteurs. “Heureusement que cela ne
m’arrive qu’une fois tous les 40 ans”, sou-
rit-il après notre longue séance pho-
tos. À l’occasion du derby contre An-
derlecht, avec lequel il a remporté son
seul titre en 1968, et avec l’aide de son
ami Robert De Pot (l’ex-bras droit de
Michel Verschueren), il a accepté de
plonger dans ses souvenirs.
Seize ans à l’Union
“Des chaises
sur la piste d’athlétisme”
Même s’il habite la région de Wavre
depuis une trentaine d’années (“Je
n’aime plus la ville”), il n’y a pas plus
Saint-Gillois que Van den Berg. “Je suis
né à Saint-Gilles, à la maison. C’est
là que j’ai vécu la Seconde
Guerre mondiale alors que
j’étais gamin. J’avais été for-
tement impressionné par
la chute d’un avion de
chasse dans le bas de Saint-Gilles. On
avait été voir les débris.”
À 12 ans, il s’affilie à l’Union. “Le club
où jouaient mes frères. À 18 ans, en 1954,
j’étais en équipe A. J’allais à pied au
stade et en trolleybus aux entraîne-
ments, à Forest.”
L’Union n’était déjà plus
le premier club de
Bruxelles. Anderlecht
l’avait dépassé. En
neuf saisons en D1,
Van den Berg a battu
Anderlecht à trois re-
prises : 1-0, 4-1 et 1-2.
“Moi, je me souviens
d’un 2-2 au Parc As-
trid (en 1955-1956),
où j’avais marqué. Quand Anderlecht, le
Standard ou le Daring venaient au Parc
Duden, on mettait des chaises sur la piste
d’athlétisme pour faire rentrer le plus pos-
sible de personnes. L’ambiance, c’était
plus la ‘zwanze’, on s’amusait et on rigo-
lait. Maintenant, on jette des cailloux.”
L’OM et l’AS Rome éliminés
“50 euros pour une victoire”
Le meilleur classement de l’Union à
l’époque de Van den
Berg était une 4e
place. C’est sur-
tout en Coupe d’Europe – la Coupe des
Villes de Foire – que l’Union a brillé.
“On a éliminé Leipzig et l’AS Rome, et
l’Olympique Marseille quelques saisons
plus tard.”
Les déplacements européens se fai-
saient déjà en avion. “Des avions à hélice.
On était jeunes et on montait à bord sans
réfléchir. Après ma carrière, je n’ai plus ja-
mais pris l’avion. Je préfère le TGV…”
Van den Berg a marqué deux fois
contre Leipzig et il a inscrit le but de la
qualification à Rome. “Ça date d’il y a
plus de soixante ans ; j’ai oublié. Par con-
tre, j’ai appris par après que Parme vou-
lait me transférer. À mon insu, les Italiens
ont reçu un non catégorique de la direc-
tion. Anderlecht me voulait quand j’avais
21 ans ? Ils ne m’en ont jamais parlé. Les
dirigeants étaient les seigneurs.”
Les joueurs n’étaient pas profession-
nels (“J’ai fait des études d’ingénieur
technicien assez longtemps, sans obtenir
de diplôme”) et ne gagnaient pas bien
leur vie au foot. “Seulement 1 000 francs
belges par point. Une victoire (à deux
points) nous rapportait 50 euros.”
Départ de l’artiste
“J’en avais marre
des longs ballons”
Un clash avec la di-
rection a été à la base du départ de Van
den Berg. “En 1963, l’Union était déjà
descendue en D2, mais j’étais resté, par
amour de mes couleurs. On était aussitôt
remonté en D1, mais on est redescendus
en 1965. Je trouvais qu’il fallait changer
notre style de jeu et arrêter de balancer
de longs ballons vers l’avant.”
Van den Berg aimait le beau foot-
ball. “J’étais un numéro 10 qui jouait un
peu partout. Je donnais les ballons aux
autres. Si je dois me comparer à un joueur
actuel, c’est à De Bruyne. Mais lui, il y a
ajouté l’aspect professionnel et physique.”
En neuf saisons en D1, il a inscrit
81 buts pour l’Union. “Seulement 81 ? Ce
n’est pas beaucoup. Pourtant, j’ai aussi
mis plusieurs coups francs brossés.
Comme quoi Messi n’a pas tout inventé
(rires).”
Deux ans au Standard
“J’étais plus apprécié en Flandre”
En 1965, Van den Berg s’est retrouvé
au Standard. “Où j’avais plusieurs amis
de l’équipe nationale, comme Semmeling
et Nicolay.” Mais c’est surtout un lien
familial qui a facilité le transfert. “Le
président du Standard, Paul Henrard,
était le frère de ma femme. Je ne sais pas
si le secrétaire général Roger Petit était
tellement favorable à mon arrivée, vu
qu’il aimait surtout des guerriers.”
Van den Berg n’était pas toujours ti-
tulaire au Standard. En demi-finale de
la Coupe d’Europe, contre le Bayern
Munich, il était deux fois sur le banc.
“J’acceptais quand je ne jouais pas. J’ai
aussi connu de beaux moments à Scles-
sin, en gagnant deux Coupes : 1-0 contre
Anderlecht et 3-1 contre Malines, où je
marque.”
Mais Van den Berg n’est pas gâté
par la presse francophone. “J’étais
plus apprécié par les Flamands.
Mon style de jeu ne plaisait pas aux
journalistes francophones. Mon sur-
nom – ‘bleke artiest’ (artiste pâle)
m’a été donné par un journaliste
flamand mais n’a pas été repris en
Wallonie. Pour moi, le foot, ce n’est
pas se rentrer dedans. C’est pour cela
que je n’aime pas le football actuel.
Quand je vois le nombre de fautes…
Cela m’amuserait beaucoup moins
d’être footballeur actuellement.”
Un an à Anderlecht
“Pourtant, je trouvais mon ami
Van Himst les yeux fermés”
En 1967, Van den Berg rejoint Ander-
lecht. “Tout cela s’est décidé dans mon
dos, entre les directions d’Anderlecht et
du Standard, pendant ma dernière finale
de Coupe de Belgique. Je suis le premier
joueur de l’histoire à avoir été transféré
du Standard à Anderlecht.”
Même s’il continuait à se sentir
unioniste, Van den Berg ne râlait pas
de rejoindre le Sporting. “C’était un jeu
qui me convenait mieux. Et je retrouvais
mon ami Paul Van Himst. On se trouvait
les yeux fermés sur un terrain et on était
des amis en dehors du terrain. En équipe
nationale, on partageait souvent la
chambre. Cela fait un bail que je ne l’ai
pas vu. Passez-lui mon bonjour !”
Van den Berg jouera 14 matchs de
championnat pour Anderlecht et mar-
quera deux buts : à Charleroi (1-3) et
contre Waregem (5-0). En Coupe d’Eu-
rope, il ne jouera que contre les Alle-
mands de l’Est Karl-Marx-Stadt (2-1).
“C’était un mauvais match. Mais j’ai
quand même contribué au titre. Com-
ment on l’a fêté ? Avec un souper. Cela
n’avait rien à voir avec les feux d’artifice
actuels. À cette époque, les titres étaient
une routine pour Anderlecht.”
Après une saison, Van den Berg s’en
va au Crossing Molenbeek, devenu le
Crossing Schaerbeek l’année d’après.
“La direction d’Anderlecht a estimé que
ça ne valait pas la peine de continuer. Je
n’avais pas fait une saison extraordi-
naire.”
Belgique – Brésil : 5-1
“J’ai reçu le ballon
après le… 2e
tirage au sort”
La partie dont il se souvient le
mieux est le 5-1 en amical contre le
Brésil d’avril 1963, quand l’Union était
sur le point de descendre en D2. Van
den Berg a encore le ballon du match
dans son living. “Le ballon de la pre-
mière mi-temps, précise-t-il. On avait
changé de ballon au repos.”
Le Brésil était champion du monde
en titre et faisait une tournée en Eu-
rope. “Ce soir-là, tout nous réussissait.
Comme l’Union cette saison. Et oui, j’ai
bien joué. Je n’ai pas marqué mais j’ai li-
vré deux assists, des passes dans le dos
de la défense.”
Blessé, Pelé suit le match depuis les
tribunes. Après la rencontre, les jour-
nalistes lui demandent qui était le
meilleur Belge. Pelé ne cite pas Jacky
Stockman, auteur de trois buts,
mais… Van den Berg. “Visiblement, mon
jeu l’avait charmé. Malgré cela, La DH
avait osé écrire : ‘Laissons à Pelé la res-
ponsabilité de ses dires’. Comme si Pelé
n’y connaissait rien.”
Et le ballon du match, comment l’a-
t-il reçu ? “À cette époque, un tirage au
sort déterminait quel joueur le recevait.
Un Brésilien l’avait gagné. Stockman a
été lui dire que ce n’était pas un beau
souvenir quand on perd 5-1. C’est moi qui
ai gagné le deuxième tirage au sort.”
Son adversaire préféré était… “La
France. Je n’ai jamais perdu contre elle (3
victoires, 2 nuls).” Contre les Pays-Bas,
il a marqué 7 buts en 10 matchs. “Ah,
tellement de buts contre les Keeskop-
pen ?”
Il a aussi marqué en Espagne (1-2) et
un hat-trick en Islande. “Un hat-trick ?
Complètement oublié. Non, je n’ai pas
reçu de prime supplémentaire. C’était
500 francs belges par match, donc 12,5 €.
Qu’on le gagne ou le perde. On jouait
pour l’honneur.”
L’Union version 2021-2022
“Pas encore vu un match entier
et je ne vais plus au stade”
Quand on aborde le sujet Union
2021-2022, Van den Berg nous sur-
prend. “Il paraît qu’ils sont bons. Je ne re-
garde plus de foot belge, sauf parfois
quelques extraits. Leur jeu est moderne :
ça va très vite et on y va à fond. Et tout
marche, comme à Leicester en 2016.”
Van den Berg ne va plus au stade. “J’y
suis allé une fois en 2019 à l’occasion des
100 ans du Stade Joseph Mariën. Mais
même s’ils m’invitent, je n’y vais plus. Je
regarde le foot étranger à la télé.”
En plus de cela, il fait de la guitare et
son sport quotidien. “Des étirements le
matin parce que mes vertèbres bloquent
dans tous les sens et ensuite une prome-
nade.”
Et le tennis, son autre sport favori ?
“C’est fini depuis la pandémie. Mes jam-
bes ne suivent plus quand je change de
direction. J’ai donné cours pendant
trente ans, j’ai eu B0 comme classement.
J’ai joué très longtemps avec Roger Hénu-
set, mon ancien équipier à l’Union. Il
était gentil avec moi, parce qu’il était
plus fort (rires). On est restés amis de-
puis l’Union. De nos autres équipiers, il
n’y en a plus beaucoup en vie. La se-
maine passée, mes adversaires Jef Van
Hoof (Antwerp) et Gento (Espagne) sont
décédés. C’est le lot de ceux qui vivent un
peu plus longtemps : tu vois partir les
autres. L’un après l’autre…”