Les gens branchés qui fréquentent parfois les travées du Parc Duden parleraient sans doute d’un “retour de hype“. Fustigé pour son football assommant du temps de Charleroi, décrédibilisé par son passage à Genk, Felice Mazzù serait devenu en cette fin d’année 2021 le plus digne représentant d’un football bariolé. Retour sur les traces d’une mutation.
C’était il y a deux ans jour pour jour. Ou à peu près. C’était en tout cas le 12 novembre 2019 et Felice Mazzù n’a aucune raison de l’oublier. Ce mardi matin-là, le communiqué de presse du Racing Genk enterre ses espoirs de résister au début de saison brinquebalant des champions de Belgique. En interne, on évoque alors “la trop grande différence entre la qualité intrinsèque du groupe de joueurs et les performances”. On prend rarement des pincettes quand on jongle avec des millions.
Novembre 2019, donc. Deux ans tout juste, ou à peu près, après avoir été récompensé du trophée Raymond Goethals d’entraîneur de l’année 2017, Felice Mazzù est de retour à la case “sans club”, les indemnités de départ en plus. Sa tête et son parcours, eux, racontent la trajectoire d’un homme que la Belgique du foot aurait trop vu. Il ne faudra d’ailleurs pas six mois après son départ de Charleroi et les débuts prometteurs de Karim Belhocine pour voir certaines langues se délier dans le Pays Noir.
Aux louanges répétées des six années précédentes, on rappelle tour à tour à l’ancien T1 du Sporting sambrien son absence de vécu comme joueur professionnel, cette forme de routine qui avait fini par s’installer dans le vestiaire ou même le côté plus jouette d’un coach dont les différences seraient tout à coup devenues des carences. On est en janvier 2020 et Mazzù est devenu un chômeur avec les oreilles qui sifflent.
Et le dos qui colle. De cette glue apposée sans retenue pour y fixer des étiquettes. Selon elles, l’homme serait notamment un entraîneur défensif. Une banalité en forme de CV virtuel qui hérisse les poils de n’importe quel fidèle du coach carolo. “Je le connais depuis vingt ans, j’ai travaillé pour la première fois avec lui il y a quinze ans et je ne l’ai jamais vu comme un entraîneur défensif”, défend tout de go Sandro Salamone, analyste vidéo proche de Mazzù depuis Tubize et passé par Genk et l’Union. “Entre le Felice d’il y a dix ans et celui de maintenant, il y a d’énormes différences, mais la constance qu’il a toujours eue, c’est qu’il passe son temps à me parler de jeu de possession. Au White Star, il jouait un 4-4-2 hyper offensif. Et il y a beaucoup d’autres choses qu’on ne dit pas. Comme le fait qu’avec Genk, il a joué deux matches de Ligue des Champions contre Liverpool dans deux systèmes différents que ceux pratiqués en championnat. Un 4-4-2 à domicile ( défaite 1-4, ndlr) et un 3-5-2 comme celui aujourd’hui pratiqué à l’Union en déplacement à Anfield ( défaite 2-1, ndlr). Étonnement, peu de gens ont relevé cela. Les mêmes ont probablement oublié qu’avec le même bilan que John van den Brom, nous, nous étions déjà dehors à l’époque.”
“Ici, à l’Union, j’ose plus. Je pense avoir acquis une certaine maturité tactique. De manière générale, j’ai plus de certitudes, plus de convictions.”Felice Mazzù
Mazzù a surtout testé mieux qu’ailleurs dans le Limbourg la difficulté de changer le reflet de l’image de ce coach qu’on nous vendrait plus humain que stratège, plus méfiant que pugnace. “Alors qu’il est juste très cartésien”, veut croire Dieumerci Ndongala, qui a connu Mazzù entre 2014 et 2016 à Charleroi et le temps d’un été indien du côté de Genk. “Et je peux vous dire qu’à Genk, personne ne parlait de contre-attaque, on voulait jouer au football, dominer. Jamais il ne nous disait: Aujourd’hui, on va fermer. Felice, c’est un gars intelligent qui travaille avec le matériel à disposition. Mais il faut être honnête, il ne pouvait pas jouer un foot champagne avec les gars qu’il avait à Charleroi.”
C’est pourtant dans le Pays Noir que Mazzù créera sa légende. Là qu’il poussera la chansonnette face à la T4 et qu’il apprendra le métier dans un club en reconstruction. Jeune coach inexpérimenté, son naturel fait rapidement recette auprès des médias. Détendu en interview, diplomate avec sa hiérarchie, Felice Mazzù est surtout de ces entraîneurs faciles à vivre pour une direction. De ceux qui ne chouinent pas quand on les prive de trois de leurs maîtres à jouer en cours de saison. “Je suis arrivé en même temps que lui à Charleroi, mais la politique de la maison était très claire”, se souvient bien son ami de toujours Miro Linari, alors intégré à la cellule scouting du Sporting. “Dès le premier mercato de janvier, on a perdu David Pollet, Danijel Milicevic et Onur Kaya. Ensuite, ça a été Neeskens Kebano et Sébastien Dewaest et ainsi de suite… Objectivement, on ne peut pas demander à un jeune coach qui débarque sans carrière ni confiance de produire du beau jeu et de faire des résultats dans ces circonstances.”
Alors, Felice a choisi. En six saisons à Charleroi, l’homme accroche trois fois le wagon des PO1. Une régularité qui vaut à l’époque autant d’éloges que d’interrogations sur une équipe souvent ramenée à son seul carré défensif, composé de deux arrières centraux et de deux milieux à vocation strictement défensive, et caricaturée pour son boringfootball et sa propension à laisser le ballon à l’adversaire. En avril 2015, Charleroi se qualifie d’ailleurs pour ses premiers play-offs 1 en ponctuant sa saison régulière avec une possession de balle moyenne de 45,6%, ce qui classait les Zèbres à l’avant-dernière place de ce ranking particulier.
Taulier de cette équipe de guerriers, Damien Marcq fait encore six ans plus tard les beaux jours de Mazzù à l’Union et se prête sans difficulté au jeu des sept différences. “Je dirais que la forme a changé, mais que le fond est resté le même. C’est la première distinction que je ferais. Après, il faut remettre les choses dans leur contexte. À Charleroi, on travaillait beaucoup avec Mario ( Notaro, ndlr). Ici, on bosse avec Karel ( Geraerts, ndlr), qui est forcément plus moderne. Mais comme avant, ça passe beaucoup par le jeu. Felice a toujours essayé de visualiser tout ce qu’il peut se passer dans un match et favoriser les mises en pratique. Les mots d’ordre sont aussi restés les mêmes: application et intensité.”