À 33 ans, Sébastien Pocognoli a décidé de tirer le rideau sur une carrière démarrée en boulet de canon et terminée dans l’anonymat d’une saison blanche à l’Union. Entre les deux, un paquet de centres au cordeau et quelques débordements. Interview souvenirs.
Il y a la nostalgie d’abord. Celle qui accompagne souvent les actes fondateurs. Pour la génération dorée, la chape a été posée à l’été 2007, aux Pays-Bas, lors d’un EURO Espoirs devenu le ciment de toute une équipe. Sébastien Pocognoli a un temps été considéré comme l’un des plus beaux joyaux de cette génération. Avant de progressivement rentrer dans le rang. À l’EURO 2007 et aux JO 2008 ne suivront que treize maigrelettes sélections avec les A. Trop peu pour les livres d’histoire, mais suffisamment pour alimenter la boîte à souvenirs. Pour ses contemporains, Pocognoli est une madeleine de Proust à lui tout seul. L’homme d’un débordement sans fin à la Olive et Tom et d’un but pour la légende contre les Pays-Bas un soir de juin 2007. Un exploit synonyme de qualification pour les Jeux pour les Diables de Jean-François de Sart. Le début d’une aventure qui se poursuivra dans quelques semaines entre Tubize, Copenhague et Saint-Pétersbourg, mais à laquelle ne prendra plus part notre homme. Ça valait bien un dernier coup d’oeil dans le rétro. Magnéto, Poco.
Sébastien, tu as récemment mis un terme à ta carrière. 17 ans tout juste après tes débuts professionnels en avril 2004 dans le Genk des Thomas Chatelle, Eric Zokora, Jan Moons, Koen Daerden ou Mirsad Beslija. Dans quel contexte à l’époque?
SÉBASTIEN POCOGNOLI: ( Il rit) Tous des gars que j’avais surtout l’habitude de regarder à la télé… À l’époque, Ronny Van Geneugden vient de reprendre l’équipe et m’a à la bonne parce qu’il trouve que j’ai une bonne patte gauche, comme lui à l’époque. Et puis, Genk, déjà à ce moment-là, mettait en place une académie qui n’allait pas tarder à surpasser tout le monde. Faris Haroun a fait ses débuts un peu avant moi, d’ailleurs. C’est lui, avec Vincent Kompany à Anderlecht évidemment, qui m’a montré la voie. À l’époque, j’ai seize ans, je suis un gamin, mais un extra-terrestre aussi. J’étais parmi les premiers jeunes à être lancés dans le grand bain. Juste après Vanden Borre, un peu avant Steven Defour.
Tu es de 1987. Tes premiers souvenirs de foot, c’est quoi?
POCOGNOLI: C’est la Coupe du monde 1994, le but de Philippe Albert contre les Pays-Bas. Celui de Maradona avec les yeux explosés contre la Grèce, aussi. Ça, ce sont mes deux marqueurs foot. Ceux qui te donnent envie d’aller plus loin. Et puis, le Brésil évidemment. Celui de 1994, de 1998.
Supporter le Brésil lors des Coupes du monde, est-ce que ce n’est pas la vraie différence entre votre génération, qui a grandi sans grandes vedettes belges, et celle qui va arriver dans les prochaines années, qui s’est construite autour des exploits des Diables d’Eden Hazard et Kevin De Bruyne?
POCOGNOLI: C’est l’époque qui était différente. Moi, quand j’étais petit, j’étais fan du Brésil de Ronaldo grâce aux pubs Nike , à la limite. Je prenais autant de plaisir devant ces publicités incroyables que devant le meilleur match ou le plus beau dessin animé du monde. Mais ce qui est vrai, c’est que je supportais essentiellement des clubs. Le Manchester de Ferguson avec David Beckham, Andy Cole et Dwight Yorke. Seraing aussi, son Stade du Pairay plein comme un oeuf avec mon père… Je n’étais pas tellement fan d’équipes nationales, pas un grand supporter de la Belgique, donc. Quand on voit la ferveur aujourd’hui autour des matches des Diables, c’est clair que je me dis qu’on a fait du chemin. Et je pense que le moment déclencheur par rapport à ça, ce sont vraiment les JO de Pekin, en 2008.
Ce qui reste, treize ans plus tard, ton seul grand tournoi avec la Belgique. C’est une déception, ça?
POCOGNOLI: Il y a eu l’EURO 2007 Espoirs aussi quand même. Les deux, ce sont de supers souvenirs. En 2007, aux Pays-Bas, à Arnhem, contre la Serbie, il y avait 2.000 supporters. Que des jeunes qui venaient de finir leurs examens. Dans le tas, il y avait tous mes potes. L’ambiance était incroyable. Ça nous a donné envie de revivre ces moments à l’infini.
À l’époque, tu fais vraiment partie des gros talents de cette génération. Comment expliques-tu que tu ne te sois pas imposé dans la durée chez les A?
POCOGNOLI: Ce sont les aléas de l’évolution d’une carrière. J’ai été sélectionné vingt fois, mais je n’ai joué que treize fois. Clairement, je crois que le moment charnière, c’est quand je suis champion avec l’AZ et titulaire avec Louis van Gaal. Là, je crois que je n’ai pas eu le crédit que je méritais et j’ai raté le train. Vertonghen s’est installé au back gauche en équipe nationale, alors qu’il jouait dans l’axe à l’Ajax, et franchement, à ce moment-là, j’étais plus fort à cette place-là. Pourtant, j’ai disparu pendant deux ans de la sélection. Puis je suis revenu avec Wilmots et j’ai fait toute la campagne de qualification pour le Brésil. Je suis fier d’avoir participé au renouveau, d’avoir fait la fête dans un stade plein au Roi Baudouin, après le match contre le pays de Galles, avec Stromae, etc. C’était magnifique. Malheureusement derrière, il n’y a pas la convocation pour le Brésil.
De fait, Marc Wilmots part au Brésil sans vrais latéraux de formation et te place dans les six réservistes. Encore aujourd’hui, c’est quelque chose que tu as du mal à expliquer?
POCOGNOLI: Je sortais d’une bonne saison à Hanovre, mais je n’ai pas eu le petit truc en plus. Je sais peut-être pourquoi, mais je préfère le garder pour moi. Quand Wilmots est venu me trouver à Neerpede pour me dire que j’étais réserviste, évidemment, ça m’a fait mal. Je me souviens que le jour-même, il y avait des tests physiques et que je m’étais dit que j’allais me donner à fond. À partir de ce jour-là, je me suis vraiment dit que j’allais travailler pour revenir au top. Pour l’anecdote, j’ai terminé premier des tests physiques en question. J’avais la rage.
Rétrospectivement, est-ce que ton passage par l’AZ Alkmaar, qui était censé lancer ta carrière, n’en reste pas le moment le plus fort? Avec comme apothéose, le titre de champion des Pays-Bas en 2009 sous Louis van Gaal?
POCOGNOLI: Pourtant, on s’est foutu de moi quand je suis parti au Pays-Bas. Mais j’avais vu les installations, le suivi médical, le suivi vidéo. C’était la même structure qu’à Barcelone, mais dans un club du subtop néerlandais. La semaine avant de signer, j’avais été discuter avec Rudi Völler à Leverkusen. J’aurais pu gagner plus d’argent en allant en Bundesliga, mais Van Gaal avait su me convaincre. Il a bien fait. Il n’y a aucun coach qui m’a plus appris que lui. Il a été dur, j’en ai bavé, il m’a rendu la vie difficile, il pouvait te ridiculiser devant tout le groupe, mais j’avais besoin de ça. À Genk, avec Logan Bailly et Steven Defour, on était un peu les chouchous de Jos Vaessen, il n’y avait pas trop de remise en question. C’est bête, mais quand je suis arrivé à l’AZ, je n’avais pas de pied droit. On faisait un entraînement de passing à la néerlandaise et je ne savais pas faire une passe du pied droit. Les autres me regardaient et il se demandaient: “Mais c’est qui celui-là?” J’avais le corps tout plié, ce n’était pas beau à voir ( Il rit). Mais en trois mois d’exercices intensifs, j’étais au même niveau que les autres. Van Gaal me disait toujours: “Tu dois faire ce que tu sais faire”. Je n’étais pas le plus talentueux, mais j’avais la plus grosse force de caractère.
À l’époque de l’AZ, Mousa Dembélé marche sur l’eau devant aux côtés de Graziano Pellè et Mounir El Hamdaoui. Tu avais vu venir l’évolution qui allait suivre dans son jeu?
POCOGNOLI: Mousa, sa vrai place, c’est celle que lui avait confié Van Gaal, au numéro 10. Pour moi, ça a été un crime de le mettre en numéro 6. Parce qu’on lui a reproché de ne pas être efficace, mais l’année où on est champions, il marque dix buts en jouant meneur de jeu. Aux JO, même chose et il plante un doublé contre l’Italie en quart. Après, à Fulham, on l’a mis en milieu défensif. Mais bien sûr qu’il savait le faire aussi. Mousa, il aurait pu jouer partout. Il est dur au duel, il sait garder le ballon, il sait jouer, mais le problème, c’est qu’on l’a réduit à ce poste de numéro 6, alors que je reste persuadé que c’est en zone de finition qu’il était le plus fort.
Tu parlais du manque de crédit dont tu as fait l’objet à un certain moment en équipe nationale. La vraie question, c’est pourquoi un joueur en pleine gloire revient en Belgique et au Standard, six mois après avoir été champion avec l’AZ?
POCOGNOLI: À l’été 2009, après le titre, l’AZ n’a pas voulu me laisser partir. Pourtant, j’aurais pu aller à Séville, à Lyon ou à Tottenham. Mais dans la foulée, il y avait aussi la Ligue des Champions qui arrivait, c’était un challenge que nous avions envie de relever tous ensemble. Du coup, l’AZ me garde, je resigne un nouveau contrat, mais très vite, les finances du club plongent suite au crash boursier de 2008. D’un coup, le club se retrouve en manque de liquidités et à l’époque, le Standard s’est positionné très vite pour me rapatrier et a proposé une somme d’argent qui permettait à l’AZ de respirer et de payer ses salaires jusqu’en fin de saison. À l’époque, il restait sur deux titres de champion de Belgique, une campagne de Ligue des Champions, il y avait de l’argent dans les caisses à Sclessin. Et puis le Standard de 2010, ce n’était pas moins fort que l’AZ. J’ai pensé que ça pouvait être un choix stratégique.
Finalement, tu arrives en janvier 2010 au Standard dans un vestiaire qui compte encore Steven Defour, Axel Witsel, Milan Jovanovic, Igor De Camargo et Dieumerci Mbokani. Une équipe de légende, mais une équipe en bout de course, aussi…
POCOGNOLI: C’était la fin d’une génération et je suis arrivé dans un vestiaire qui ne vivait plus très bien. J’ai débarqué avec un coeur gros comme ça, mais je me souviendrai toujours de mon premier entraînement, où un joueur vient me trouver dans les douches et me dit: “Mais qu’est-ce que tu viens faire ici?” Cet ancien joueur se reconnaîtra, mais je me suis tout de suite dit que c’était bizarre de parler comme ça. Que ce n’était pas très respectueux. Envers moi, mais pour le club surtout. C’est là que je me suis dit que quelque chose allait finir par clocher. Et ça a cloché puisqu’on a fini en PO2. Malgré ça, on va quand même faire un quart de finale d’Europa League avec Dominique ( D’Onofrio, ndlr) contre Hambourg. Ce qui est assez historique et un super souvenir. Et puis, il y a deux années magnifiques derrière.
Et ces PO1 incroyables en 2011, où vous signez un improbable 26 sur trente, et que vous ponctuerez par ce nul contre le Genk de Courtois et De Bruyne…
POCOGNOLI: On était dos au mur pour se qualifier pour les PO1. On devait aller gagner lors de la dernière journée contre le Beerschot. Ce qu’on a fait, mais en faisant un match très moyen. Par contre, quand on est rentrés dans le vestiaire, on s’est regardé avec Axel, Steven et Mehdi et on s’est dit: “Maintenant on va foutre la merde.” Et c’était parti. En mode Standard, comme des braqueurs. On est arrivés avec notre grinta et on a quasiment repris dix points sur Genk… C’était sans doute, avec celle de Sá Pinto en 2017-2018, l’équipe qui ressemblait le plus à ce que doit être l’esprit Standard ces dernières années. Un peu une équipe de gamins de merde, mais une équipe de passionnés.
En 2017-2018, c’est Sá Pinto tout seul, par sa part de folie, qui parvient à vous insuffler ça?
POCOGNOLI: On a été critiqués cette saison-là, mais Ricardo nous aurait défendus jusqu’à la mort. Il s’est mis le groupe dans la poche en acceptant de se mettre tout le monde contre lui. C’est parfois ce qu’on attend d’un coach. Il faut aussi dire qu’il y a avait une belle équipe de fous furieux. Luyindama, Goreux, Edmilson, Marin… Mais ce qui était incroyable cette saison-là, c’est qu’on sentait qu’on faisait peur à l’adversaire dans le tunnel. On était une équipe hyper agressive, pas toujours très réfléchie, mais c’est ça le Standard. C’est avoir peur de venir à Sclessin, baisser la tête en voyant Luyindama grincer des dents dans le tunnel. Il y a eu des précédents. Quand j’ai signé à Hanovre, quelques semaines après les avoir affronté avec le Standard en Europa League, le président du club m’a dit qu’il nous avait vus dans le tunnel et qu’il nous avait pris pour une bande de fous. Kanu, Bolat, il y en avait quelques-uns, en effet. Ça les avait marqués parce qu’on leur avait fait vivre l’enfer. J’ai adoré ces moments-là au Standard.
“L’Union m’a offert les adieux que je n’avais pas reçus au Standard”
Te voilà désormais entraîneur des Espoirs de l’Union. Pourquoi avoir accepté ce premier challenge et pourquoi ici?
SÉBASTIEN POCOGNOLI: Parce que j’ai vécu une dernière saison formidable avec Felice Mazzù. Qui m’a offert les adieux que je n’avais pas reçus au Standard. Personne ne le sait parce que c’est notre popote interne, mais ce qu’on m’a offert ici comme reconnaissance, je ne l’oublierai jamais. Je savais depuis un temps que j’arrêterais en fin de saison, mais ils ont été tellement top avec moi qu’à la mi-temps de mon dernier match contre Deinze ( 2-2, le 25 avril, ndlr), je me suis surpris à hésiter. Mais en vrai, c’était le moment d’arrêter. Sur un titre qui plus est, il n’y a rien de plus beau. Et puis parce qu’à la découverte humaine de Felice s’ajoute une envie conjointe de travailler ensemble. Ce qui sera la priorité des mois à venir en travaillant avec nos Espoirs dans la continuité de ce qui se fait en A.
Quel sera justement la priorité des prochaines semaines?
POCOGNOLI: Pour le moment, j’ai quatorze joueurs affiliés dans un noyau qui devra en compter au minimum une vingtaine. Donc là, on est en plein dans le recrutement. En cherchant à se positionner avec nos valeurs qui ne sont pas les mêmes que celles d’un club comme Anderlecht, qui prend évidemment une grosse part du gâteau du vivier de talents sur Bruxelles. À nous de séduire nos jeunes en leur offrant des perspectives d’avenir à court terme en équipe première. C’est clairement le but du jeu et ça passe aujourd’hui par une professionnalisation de la formation à tous les échelons du club. La priorité, c’est de mettre les Espoirs dans les mêmes conditions que les pros. C’est-à-dire qu’on s’entraîne désormais à Lier, avec soins, repas, kiné, analyse vidéo. Tout comme les pros. Pour ceux qui étaient là l’an passé, c’est un changement radical, parce qu’on vient de loin. Mais clairement, on veut montrer qu’on veut se professionnaliser et en faire une élite. Le club est désormais prêt à s’investir pour ses jeunes. C’est une grosse responsabilité pour moi parce que le club n’a plus sorti un jeune depuis presque dix ans et que désormais l’ambition est bien là. Tout va aller très vite dans les prochains mois.