Qui dit Anderlecht – Union, dit les grands derbies bruxellois des années ‘50, ‘60 et même ‘70. Les deux derniers étaient des matches de Coupe. Anderlecht a facilement gagné en 1980 (2-0), mais les anciens se souviennent surtout du 2-1 de 1975.
Le grand Anderlecht, vainqueur de sa première Coupe d’Europe, cette année-là, avait dû attendre les prolongations pour battre le petit Union, relégué en
D3. Jan Verheyen (74 ans), papa de Gert, venait de passer d’Anderlecht au Parc Duden. Il a reçu La DH chez lui à Hoogstraten pour évoquer le match et ses deux clubs bruxellois. “Anderlecht avait eu chaud, ce soir-là. On ne méritait pas l’élimination.”
Vous avez mené jusqu’à la 85e, jusqu’à l’égalisation d’un certain Thorsten Frank Andersen. Rensenbrink a marqué le but de la qualification à la 95e.
“Je suppose que les vedettes n’avaient pas trop envie de jouer ce match… Je ne savais plus qu’on avait été si proche de la qualification. Par contre, je me souviens du coup de pied que mon ami Jean Dockx m’avait donné. On partageait la chambre à Anderlecht. Mais il ne m’a pas raté.”
Vous aviez une grande équipe pour un club de D3…
“Oui. C’était la moitié d’Anderlecht. Le gardien Barth, Gheys, De Bolle, Denul et moi avions suivi Georges Heylens, devenu coach à l’Union. Le grand patron Ghylain Bayet avait construit une équipe qui valait la D1. On avait signé au moment où l’Union était en D2, mais elle est descendue en D3 en fin de saison. Au fond, je n’aurais pas dû quitter Anderlecht.”
Pourquoi être parti à l’Union ?
Lydie, son épouse, prend la parole : “Il s’est fait avoir par son ami Dockx, qui a fait semblant de partir à Charleroi. Finalement, il est resté et il a tout joué.”
Jan sourit : “En fait, j’avais peur de ne pas être dans l’équipe. Je ne voulais pas faire 200 kilomètres par jour pour être sur le banc. Coeck et Swat Van der Elst montaient en puissance. Et l’Union m’avait fait une belle proposition. Je pourrais gagner
plus qu’à Anderlecht. Et Heylens avait réglé un système de primes intéressant : tant qu’on gagnait, les primes montaient. On n’a perdu qu’un match : le premier, contre Zele. Mais en décembre, Bayet ne savait plus nous payer. Je crois que l’Union me doit encore 7.500 euros (Rires).”
Vous y êtes resté trois saisons.
“Oui, j’ai même été joueur-entraîneur, au tarif de joueur. Je combinais le foot avec la gestion de mon agence bancaire, le Crédit communal.”
Selon Gille Van Binst, votre femme était votre agent.
“(Rires) Quand j’ai signé à Anderlecht en 1971, c’est ma femme qui a négocié avec le président Albert Roossens, c’est vrai.”
Lydie : “Sinon, ils auraient profité de toi. Comme au Beerschot pendant
dix ans. Tu courais pour les autres et tu n’osais rien dire. Et d’ailleurs, j’ai directement accepté l’offre d’Anderlecht. Quand on s’est marié en 1965, Constant Vanden Stock avait fait livrer un bouquet de 50 roses. On n’a jamais oublié ce beau geste.”
Sur le terrain, vous faisiez le sale boulot pour Van Himst.
“Oui. J’arrachais les ballons et je les lui donnais. J’avais un peu plus de technique que notre Gert, qui est plus grand et qui semblait un rien moins élégant, mais qui marquait plus.”
Autre anecdote de Van Binst : le coach Kessler vous a sorti de l’équipe parce que votre femme avait dit à d’autres femmes de joueurs que cela ne tournerait jamais avec un entraîneur comme Kessler.
“Correct. Même Van Himst ne comprenait
pas que Werner Deraeve prenait ma place. Une des femmes doit avoir cafté. Parce que quand Kessler m’a remis dans l’équipe, il a dit : ‘Ta femme sera contente.’ ”
Dernière anecdote de Gilles : l’équipe a fêté le titre de 1972 chez vous à Hoogstraten. À l’initiative de Mulder, vous avez fait une sorte de strip-poker mais en passant un chapeau. Les femmes n’étaient pas d’accord.
“(Rires) Parfois, Gilles exagère. Je ne crois pas qu’on a enlevé beaucoup plus que nos chaussures. Mais c’est vrai que Van Himst, Mulder et Broos venaient souvent ici, à Hoogstraten. Les Néerlandais Ruiter et Rensenbrink venaient aussi, mais alors pour pêcher dans mon étang.”
Interview > Yves Taildeman
RSCA: Munaron, Van Binst, Broos, Dockx, Thissen, Haan, Van der Elst, Coeck (80
Degroote), Andersen, Van Poucke (46e Ressel), Rensenrink.
UNION: Barth, Stallaert, Vergote, De Weerdt (106e Van Welle), Seiffert, Gheys, Verheyen, Pomini (106e Crnogorac), Nickel, De Bolle, Denul.. BUTS: 69e Denul (0-1), 85e Andersen (1-1), 95e Rensenbrink (2-1).
Jan Verheyen a gardé bonne mine malgré ses 74 ans. “On fait beaucoup du vélo”, dit-il. Incrusté : la grande équipe d’Anderlecht du début des années ‘70 avec en haut Van Binst, Barth, Plaskie, Broos, Volders, Lievens et en bas Dockx, Van Himst, Mulder, Verheyen et Rensenbrink.
Verheyen totalise 33 matches en équipe nationale, mais figure quand même dans les livres d’histoire de l’Union belge. En effet, il est le seul joueur de D3 à avoir été sélectionné pour les Diables Rouges. “Correction : après la Deuxième Guerre mondiale”, dit Jan. “Je dois ce fait unique à Raymond Goethals plutôt qu’à mes qualités de footballeur.”Lydie, en souriant : “Tu dois tout à Goethals.”
Goethals avait pourtant pris Verheyen à part avant qu’il ne signe à l’Union. “En bruxellois, il m’avait dit : ‘Si tu vas en D3, tu ne viendras plus ici en équipe nationale, tu sais…’ Mais mon match de préparation contre le PSV avec l’Union lui avait plu, et il m’avait repris contre la Pologne. Il se fichait des critiques. Puis, j’étais l’homme du match d’un France – Belgique (0-0). Et le 5-0 aux Pays-Bas était le dernier match de Raymond et donc aussi le mien.”
Un autre Pays-Bas – Belgique – de 1973 – reste tout aussi historique. Verheyen nous montre une photo qui orne sa salle à manger. “Il nous fallait une victoire pour nous qualifier pour la Coupe du Monde 1974. Piot avait sauvé cinq buts tout faits. Deux minutes avant la fin, Van Himst me donne un centre parfait de l’extérieur du pied. Je déjoue le gardien et place le
ballon dans le but, mais le juge de touche avait levé son drapeau. Je n’ai même pas réclamé.”
Ce n’est qu’après le match que Verheyen apprend qu’il n’y avait pas question de hors-jeu, loin de là. “On n’en a pas fait un scandale. On était déjà contents de ne pas s’être pris un 5-0. Les Néerlandais sont allés à la Coupe du Monde de 1974 et ont joué la finale… On a été éliminés sans se prendre un but durant toute la campagne.”
Verheyen se souvient aussi du retour d’Amsterdam après ce 0-0. “J’avais demandé à Goethals si le car ne pouvait pas me déposer à la sortie Loenhout de l’autoroute. Normalement, c’était interdit. Tout le monde devait rentrer à Bruxelles. Goethals m’a répondu : ‘Non, Jan ! On va te déposer à la maison.’ Le car s’est arrêté devant la porte et tous les joueurs et le staff ont bu un verre ici.”