DIDIER SCHYNS
P. Crochet / News
L’ancien international (37 ans) entraîne depuis le début de la saison les gardiens de l’Union, avec un enthousiasme et une passion incroyables. Il savoure son bonheur au quotidien, dans un relatif anonymat qui lui fait le plus grand bien. next
Qui, alors qu’il avait pensé prolonger, un peu artificiellement, sa carrière à Bressoux (P3 liégeoise), aurait imaginé retrouver deux ans plus tard Logan Bailly à l’Union, où Karel Geraerts lui a confié en début de saison une place dans son staff, lui proposant le poste d’entraîneur des gardiens ? Pas même le principal intéressé, qui a accueilli cette invitation comme un cadeau du ciel et a retrouvé depuis le goût du plaisir au quotidien. Pour l’ancien gardien de Genk, de Mönchengladbach et du Celtic, qui aura dans quelques jours en poche son diplôme UEFA B, c’est une nouvelle et belle carrière qui s’annonce. « Mais jamais comme coach principal », dit-il. « Ce n’est pas pour moi. Mon truc, c’est de travailler avec les gardiens… »
Logan Bailly, vous retrouver à 37 ans dans un club du top belge, à l’Union, ça vous fait quoi ?
Cela me procure beaucoup d’émotions, surtout quand on sait par où je suis passé. Cela m’est tombé dessus un peu par hasard, à la faveur d’un coup de fil de Karel (Geraerts). Des chances comme ça, il faut les saisir, car il n’y en a pas beaucoup. Au départ de la saison, tout le monde avait dit que l’Union jouerait la deuxième partie de classement, mais ce club vit à l’inverse une saison pleine, avec une place assurée dans le top 4, une demi-finale de Coupe de Belgique et un quart de finale d’Europa League. C’est exceptionnel et inattendu.
« Par où je suis passé », dites-vous. Qu’est-ce que cela signifie ?
Que la vie est faite de surprises et que tout peut aller très vite, dans un sens comme dans l’autre. Lorsque j’ai arrêté à Mouscron, en octobre 2018, j’ai vécu deux années où je me suis vraiment laissé aller, où je me suis retiré du football. Jusqu’à cet appel, à l’été 2021, de Jean-Philippe Caillet, avec qui j’avais évolué à Genk et qui était le directeur sportif de Differdange, il m’a fait signer un contrat de deux ans comme entraîneur des gardiens. Puis celui de Karel Geraerts, douze mois plus tard, m’invitant à le rejoindre à l’Union. Je vis un rêve éveillé, parce que là où la plupart des anciens joueurs doivent passer par un apprentissage, chez les jeunes ou à un niveau inférieur, j’ai eu la chance de me retrouver directement dans un staff pro et un club du top.
Votre début de reconversion, vous le devez à Jean-Philippe Caillet ?
Disons que c’est lui qui m’a mis le pied à l’étrier à un moment où je ne m’y attendais pas. À Differdange, c’était trois séances par semaine, en plus du match. C’était 200 kilomètres aller et 200 kilomètres retour. Je partais à 16 heures et j’étais de retour vers minuit. Le Luxembourg, ce n’était pas la destination la plus sexy, mais c’était la première étape. Lorsque Jean-Philippe Caillet m’a appelé, j’étais à Waremme sur une plaine de jeu avec ma femme, qui m’a dit de ne pas réfléchir à deux fois et de saisir cette chance à pleines mains, ajoutant qu’il était impossible de savoir sur quoi cette expérience allait déboucher.
Pensez-vous que s’il n’y avait pas eu Differdange, il n’y aurait pas eu l’Union ?
Bonne question ! Karel savait que j’étais au Luxembourg, mais je n’en ai jamais vraiment parlé avec lui. Il cherchait à finaliser la composition de son staff et me voulait tout de suite. Mais j’avais encore un contrat d’un an à Differdange, qui devait jouer quelques heures plus tard un match de Conference League. C’était donc problématique. J’en ai parlé avec mon entourage familial puis j’ai pris contact avec Jean-Philippe. Differdange aurait pu s’opposer à mon départ, mais il n’a pas chipoté et m’a accordé mon bon de sortie. Je serai éternellement reconnaissant envers ce club qui a fait preuve de beaucoup de compréhension.
Pourquoi Karel Geraerts a-t-il songé à vous ?
Parce qu’on a été équipiers à Louvain, il connaissait mes qualités de joueur. Un bon joueur ne devient pas forcément un bon entraîneur, mais c’est plus facile pour un ancien gardien de devenir entraîneur des gardiens. Karel voulait un staff en qui il avait confiance. Il m’a fait visiter le centre d’entraînement de l’Union et il m’a dit que c’est moi qu’il voulait. J’ai aussi discuté avec Chris (NDLR : O’Loughlin, le directeur technique) et deux jours après, je signais mon contrat à durée indéterminée. Un CDI, cela ne veut rien dire mais la politique de l’Union, ce n’est pas de se séparer rapidement de ses entraîneurs mais de travailler sur le long terme avec eux, comme c’est le cas avec Karel, qui est là depuis quatre ans.
Avant de rejoindre Differdange, vous étiez préoccupé par ce que vous alliez faire de votre vie ?
Honnêtement oui. J’ai arrêté tôt, à 33 ans. Quand j’ai cassé mon contrat à Mouscron, j’ai profité de la vie, de mes enfants, de ma famille, puis le Covid est arrivé. Si j’étais resté dans le milieu du foot, cela aurait été plus facile. Il fallait que je trouve un boulot. Mais lequel ? Dans le football ou en dehors ? J’ai très bien gagné ma vie, mais pas au point de vivre de mes rentes. Je ne suis pas multimillionnaire comme Cristiano Ronaldo, Messi, Hazard et des gens comme ça. Et je ne me voyais pas ne plus rien faire jusqu’à la fin de mes jours.
Depuis deux ans, vous travaillez dans un certain anonymat. Vous appréciez ?
On a assez parlé de moi dans le passé (rires), donc ça m’arrange. L’actualité, je l’ai toujours faite, en bien et en mal. Là, je suis tranquille et je travaille dans l’ombre. C’est ce qui me convient pour le moment. Je préfère que la lumière se porte sur mes trois gardiens, Anthony Moris, Lucas Pirard et Joachim Imbrechts. C’est un pur bonheur de les entraîner au quotidien. Ce sont des gars énormes, avec qui on sait rigoler et bosser. J’espère leur apporter beaucoup, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’eux m’apportent énormément tous les jours. Pour une première grosse expérience comme entraîneur des gardiens, je ne pouvais rêver mieux. On dit souvent que les gardiens forment une famille. Je le confirme.
Vous retrouvez-vous en Anthony Moris qui, comme vous, a eu plusieurs vies ?
Lui a vécu pire que moi. Il revient de très loin, et même de nulle part, après s’être déchiré deux fois les croisés à Malines. Il mange foot et vit foot. Je lui dis tout le temps que ce qu’il est en train de faire et là où il se trouve après ce qu’il a vécu, c’est exceptionnel.
On vous sent aujourd’hui plus posé, plus rangé peut-être…
C’est vrai. Ce sont l’âge et le statut qui font que c’est ainsi. Ai-je une valeur d’exemple parce que je suis entraîneur des gardiens à l’Union ? Je ne sais pas si c’est le bon mot, mais j’essaye. D’année en année, on acquiert de la sagesse et de l’expérience.
Avez-vous le sentiment d’avoir changé ?
Cela fait un moment que je me suis assagi. J’ai en dehors du foot une vie plus posée, qui permet de beaucoup relativiser. Je pars chaque jour à 5h45 pour rejoindre Lier, où l’Union s’entraîne, et je rentre vers 16 heures, sans que cela ne me pèse. Je ne me plains pas du tout. Je fais un boulot gratifiant et qui n’est finalement pas très dur, par rapport à ceux qui travaillent dans le bâtiment ou à l’usine.
Vous pensiez-vous capable de vous investir autant ?
Quand on est joueur, on n’a qu’à penser à soi et on ne sait pas ce que représente le travail de coach, parce qu’on n’y fait pas attention. Entraîner, c’est plus qu’un métier, une passion qui recouvre énormément de choses : la préparation des séances, qui doivent être variées, l’analyse des matches, le respect du timing… Lorsque l’entraîneur principal t’offre 50 minutes de travail avec tes gardiens, tout doit être planifié pour que chaque instant compte. Tout est nouveau pour moi, mais j’apprends de jour en jour.
Avez-vous l’impression que votre image a changé ?
La différence, c’est qu’on ne parle plus de moi et qu’on me laisse tranquille. C’est très bien comme ça. On m’a toujours dit que « le plus important, c’est qu’on parle de toi, en bien ou en mal ». Je n’en suis pas mort. Mieux, cela m’a forgé un caractère qui fait que plus rien ne peut m’atteindre. J’ai vécu tellement de bons moments, et des mauvais aussi, mais je me suis toujours relevé. Aujourd’hui, j’ai des enfants formidables, une femme formidable et une famille formidable, en plus d’un boulot extraordinaire. Je suis donc l’homme le plus heureux au monde. Et je me dis que si je me retrouve à l’Union, dans l’un des meilleurs clubs du pays si pas le meilleur, c’est que je ne suis pas si mauvais et que je ne suis pas une aussi mauvaise personne que ça.
Lorsqu’on s’était vu il y a deux ans, vous aviez dit : « Si un jour on me retrouve sous un pont, ce sera mon problème »…
C’était par rapport à tout ce que j’avais vécu et ce que les gens disaient de moi. J’ai toujours dit que mes fautes n’appartenaient qu’à moi et que je n’avais jamais pointé personne du doigt. J’ai toujours assumé seul. On ne m’a jamais mis un pistolet sur la tempe au moment d’effectuer un choix. J’ai vécu de la manière dont je le voulais et j’en ai parfois payé les pots cassés. J’ai souvent entendu dire que j’aurais dû faire une autre carrière. Peut-être, oui. Ou peut-être que non. Je suis fier de mon parcours. Mon CV n’appartient qu’à moi, et personne ne me le retirera jamais. Comme mes erreurs… C‘est ça que j’explique tous les jours à Antho (Moris), en lui disant que c’est lui qui écrit son histoire. Dans dix ans quand il ouvrira son livre, il verra qu’il a été quart de finaliste de l’Europa League et peut-être champion de Belgique.
« j’ai porté chance à mes anciennes doublures »
D.S.
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Logan Bailly a évolué à Mönchengladbach de janvier 2009 à juillet 2011. Du coup, il a été un spectateur attentif, mardi, du match amical Allemagne- Belgique. « Ce qui me parle », dit-il, « c’est qu’il aurait pu opposer deux gardiens, Marc-André ter Stegen et Thibaut Courtois, qui ont été jadis mes équipiers, si ce dernier n’était pas rentré à Madrid pour soigner une petite douleur aux adducteurs. Avec Ederson et Alisson, ils sont ceux qui aujourd’hui sortent le plus du lot. Il faut croire que j’ai porté chance à mes anciennes doublures. Courtois était sur le banc lorsque j’étais titulaire à Genk et ter Stegen était troisième dans la hiérarchie quand j’ai débarqué à Mönchengladbach. Au bout de deux ans et demi dans les buts du Borussia, c’est lui qui a pris ma place. Quel privilège ! (Il rit) ».
La Bundesliga comptera toujours beaucoup aux yeux de Logan Bailly. « Cela a été une très belle étape de ma carrière. À l’époque, j’avais été transféré de Genk à M’Gladbach pour près de 3 millions, ce qui était beaucoup. J’ai vécu au Borussia-Park deux années merveilleuses, avec ce titre de meilleur gardien de la saison, cet intérêt du Bayern Munich et les compliments de Toni Schumacher (« Le meilleur gardien d’Allemagne. Dommage qu’il soit belge ! »). Et plus globalement, j’ai découvert un vrai pays de football, avec des stades toujours remplis, même en D4. C’est peut-être un signe du destin si, après l’élimination de l’Union Berlin, l’Union Saint-Gilloise a hérité de Leverkusen en quart de finale de l’Europa League… »