Christian “Witte” Lauwers et Gille Van Binst,
icônes de l’Union et Anderlecht, ont joué
des derbys légendaires, il y a 50 ans
Le hasard veut qu’Anderlecht et l’Union se
rencontrent deux fois
en trois saisons en
Coupe. Mais il y a 50 ans, les
deux clubs de tradition s’affrontaient deux fois par an
avec comme enjeu le titre honorifique de meilleur club de
Bruxelles.
Pour l’occasion, nous avons
organisé un face-à-face (à distance) entre deux icônes de
l’époque, Christian “Witte”
Lauwers (Unioniste entre 1962
et 1974) et Gille Van Binst (Anderlechtois entre 1966
et 1980). Le Hoeilaartois
Lauwers (74 ans), meilleur buteur de l’Union en 1971 et
auteur de cinq buts en un
match à Gand (4-8), a joué
neuf derbys et en a gagné
trois, Van Binst (69 ans) en a
disputé six pour quatre succès.
Messieurs, quel est le derby qui
vous a le plus marqué ?
Lauwers : “Celui en 1969,
quand on s’est maintenus en D1
grâce à une victoire à Anderlecht, 0-1. Un but de Jacques
Teugels. (Son épouse interrompt : ‘Combien d’assists
n’as-tu pas donné à Teugels ?
Mais tu étais trop modeste !’)
Michel Verschueren était entraîneur physique d’Anderlecht. Il
était venu me trouver après le
match. ‘Toi, tu dois venir jouer
chez nous.’ J’avais posé la question à la direction, mais il
n’était pas question de renfor
cer le grand rival.”
Van Binst : “Julien Kialunda,
le défenseur congolais de
l’Union, avait pourtant été
transféré à Anderlecht en 1965.
C’était le premier Africain du
Sporting. Il a remplacé le légendaire Laurent Verbiest quand il
s’est tué en voiture à 26 ans. Julien était un excellent défenseur,
avec beaucoup d’élégance.
Quand il a perdu son permis de
conduire, je lui ai fait découvrir
la vie nocturne à Bruxelles (rires).”
Quel est votre derby le plus
mémorable, Gille ?
Van Binst : “Moi, je prends
l’Union – Anderlecht (1-2) de
1970-1971, quand j’ai marqué un
but. Généralement, après des
matchs à l’Union, on allait au
café Welkenhuyzen en face du
stade. Il était tenu par les
beaux-parents de Jean Trappeniers, notre gardien. On allait y
boire un verre.”
Lauwers : “Un seul ? (rires)”
Van Binst : “Mais ce soir-là,
notre coach Pierre Sinibaldi
nous avait obligés à rentrer en
car. On devait partir en mise au
vert à Huizingen, parce qu’on
devait préparer un match de
Coupe d’Europe. Je n’ai pas su
fêter mon but.”
Justement, les mises au vert,
cela existait à l’Union ?
Lauwers : “Non. Le club
n’avait pas d’argent pour cela.
Par contre, avant des matchs,
on mangeait ensemble au Chalet de la Forêt.”
Van Binst : “Sinibaldi n’arrêtait pas d’aller en mise au vert
avec nous. Je suppose que sa
femme ne cuisinait pas très
bien.”
Les matchs entre l’Union et
Anderlecht étaient toujours
tendus ?
Lauwers : “Il y avait de l’électricité dans l’air. Pendant toute
la semaine, les supporters et la
direction nous faisaient comprendre qu’il fallait gagner le
match de l’année.”
Van Binst : “Moi, j’adorais venir jouer chez vous. Des quatre
derbies bruxellois – on jouait
aussi contre le Daring, le Racing
White et le Crossing Schaarbeek
– c’est celui contre l’Union que je
préférais. L’ambiance était formidable. Le public était tout
près du terrain, qui était toujours un billard. Et puis cet
hymne ‘C’est l’Union
qui sourit’. Il me
donnait des ailes.”
Lauwers : “J’ai
encore le disque
chez moi. J’avais
la chair de poule
chaque fois que
j’entendais le refrain.”
Van Binst : “Et tout le stade
chantait. Ils étaient combien ?
15 000 ? 20 000 ?”
Lauwers : “Non ! 40 000 ! Et
chaque fois que vous veniez, il
n’y avait plus un ticket à vendre.”
Vous receviez une double prime
pour ce match de l’année ?
Lauwers : “Oui ! Mais ce
n’était pas extraordinaire.
C’était 3 000 francs belges
(75 euros) au lieu de 1 500
francs (37,50 euros).”
Van Binst : “Votre
motivation n’était
pas l’argent, mais le
fait de montrer que
l’Union était encore le club numéro 1 de Bruxelles.”
Lauwers :
“Exact !”
Pourtant, Anderlecht avait déjà
dépassé le nombre de titres de
l’Union. C’était 14-11 pour les
Mauves au début des années
70.
Van Binst : “Oui, mais l’Union
se basait sur la légende de
‘l’Union 60’ pour revendiquer le
statut de meilleur club de
Bruxelles.”
L’Union 60, ce sont les 60
matchs consécutifs
sans défaite de
l’Union, mais
cela remontait aux
années 30.
Lauwers : “Oui, mais je peux
vous confirmer que cela restait
vivace, même 30 ou 40 ans plus
tard.”
Van Binst : “J’adorais le côté
folklorique de l’Union. Le public
soutenait son équipe, mais il n’y
avait pas de haine envers Anderlecht. Au Daring, par
exemple, le public était plus
agressif envers nous. Il y
avait des crapules.”
Lauwers : “À l’époque, il
n’y avait pas de séparation
entre les supporters de
l’Union et d’Anderlecht.
Mais je ne me souviens pas
de bagarres. À Saint-Trond, par
contre, c’était plus tendu.”
Van Binst : “Votre public se
moquait de nos laides couleurs
mauves, mais c’était bon enfant.”
Vous n’étiez donc pas anti-Anderlecht à l’Union, Christian ?
Lauwers : “Non. Mais je vais
vous faire un aveu : j’ai toujours
été supporter
du Standard. Quand nous
jouions le dimanche, j’allais voir
le Standard le samedi et vice
versa.”
Van Binst : “Si j’avais su ça, je
n’aurais pas été si gentil avec
toi.”
Lauwers : “Tu n’étais déjà pas
le plus facile sur le terrain.
Quand tu venais dans ma zone,
tu me lançais toujours : ‘Du
calme hein, klein menneke. Sinon…’ Tu avais une tête de plus
que moi.”
Van Binst : “C’est vrai que
j’aimais bien déstabiliser l’adversaire.”
Anderlecht n’était pas considéré
comme un club de “dikke nek” ?
Lauwers : “Pas par moi, en
tout cas. Je respectais leurs vedettes et leurs prestations en
Coupe d’Europe. Mais cela ne signifie pas que je levais le pied.”
Van Binst : “Eh bien moi, j’ai
failli ne pas signer à Anderlecht
parce que je trouvais le club
trop ‘dikkenek’. En tant que gamin de Peutie, j’avais été testé
par Anderlecht au fameux tournoi de l’Union, qui se jouait chaque année au Parc Duden avec
des grandes équipes d’Europe,
comme l’Ajax. J’avais marqué
plusieurs buts, mais mes coéquipiers me prenaient de haut
dans le vestiaire. J’ai dit à mes
parents que je ne voulais pas
jouer à Anderlecht. Le président
Roossens est venu me chercher
personnellement à la maison, et
il m’a montré le stade. Je
n’oublierai jamais que Wilfried
Puis (NdlR : l’excellent ailier,
décédé à 38 ans) était dans le
bain et me disait : ‘Welkom !
Bienvenue !’. Cela a été le début
d’une belle aventure.”
“Jan Mulder trouve que l’Union est
la plus grande menace pour Anderlecht”
Van Binst croit son ex-coéquipier, Lauwers
est plus réaliste mais croit à la surprise ce jeudi.
Aussi bien Lauwers que Van Binst suivent
encore le football de très près.
“Anderlecht n’aura pas facile à l’Union”, disentils tous les deux.
“J’espère qu’Anderlecht va vraiment prendre le
match au sérieux, lance Van Binst. À notre époque, la Coupe était aussi importante que le titre de
champion. J’ai remporté quatre Coupes.”
Van Binst estime que le Sporting est sur la
bonne voie. “C’est ce que j’ai déjà dit comme consultant du Nieuwsblad à la fin janvier, après quelques moins bons résultats. On s’est moqué de moi.
Mais vous avez vu leur match à Genk. Moi, j’aime
énormément Delcroix. Sambi Lokonga ? Il est bon,
mais il peut encore faire mieux.”
Mais cela ne signifie pas que le déplacement
à l’Union sera une balade de santé. “J’ai vu tous
les matchs de l’Union à la télé, dit Lauwers.
Quand on a 12 points d’avance, il n’y a pas photo
avec la concurrence. Je suis très heureux qu’ils remontent en D1A, après 48 ans d’absence.”
Van Binst : “Je n’oublierai jamais ce que Jan
Mulder a dit dans une interview (NdlR : à Play
Sports, en 2019) : ‘La plus grande menace pour
Anderlecht n’est pas Bruges, le Standard ou Genk,
mais l’Union. L’Union peut attirer des mécènes et
reprendre le statut de plus grand club de Bruxelles,
comme dans le passé.’ Quand Jan parle, je le crois.”
“Cela m’étonnerait quand même fortement que
l’Union puisse dépasser Anderlecht, Gille…”, conclut Lauwers.