INTERVIEWFelice Mazzù est très heureux à l’Union mais ne ferme aucune porte: «Si demain la Juventus me téléphone, je ne vais pas dire non.» – Dominique Duchesnes
Par Vincent Josephy| Publié le 23/12/2021 à 20:55
Heureux à l’Union, avec laquelle il caracole en tête de la D1A, Felice Mazzù, lauréat du trophée Goethals, veut savourer l’instant présent. Ce qui ne l’empêche nullement de faire preuve d’une ambition plus discrète.
Entre une kyrielle de réunions au sommet et un rendez-vous bien-être chez la pédicure, deux jours après avoir obtenu un deuxième Trophée Raymond Goethals, Felice Mazzù prend le temps de se poser sur le sofa – forcément bleu… – qui trône en plein cœur du centre d’entraînement des Unionistes, à Lier. Fier de ce que son équipe a accompli jusqu’ici et déterminé à ce que cet état de grâce se poursuive le plus longtemps possible, le Carolo savoure sans pour autant se pousser du col. « Vous savez comment ça peut aller vite en football », tempère-t-il. « Un jour vous êtes le roi et six mois plus tard on se demande si vous êtes encore à votre place dans ce milieu. »
Il y a un an, vous aviez réfuté l’idée d’avoir reculé pour mieux sauter après votre échec à Genk. Or, quand on voit ce qui se passe aujourd’hui à l’Union, on ne peut s’empêcher de penser que c’est bel et bien le cas, non ?
Objectivement, quand on regarde la situation de l’extérieur, il est évident qu’on peut dire que j’ai effectué un pas en arrière en signant avec l’Union en D1B. Mais quand je dis que je n’ai pas reculé, j’évoque surtout ma manière de penser et de fonctionner. Je suis descendu d’un étage, c’est exact, mais j’avais besoin de ce nouveau challenge qui s’offrait à moi afin de pouvoir essayer de « ressusciter ». Quand on voit l’évolution de l’endroit où j’étais avant (NDLR : Genk), je me dis que n’étais peut-être pas aussi mort que certains l’ont prétendu.
Au même titre qu’on avait le sentiment que vous étiez arrivé au mauvais moment à Genk, on peut penser qu’ici toutes les planètes s’alignent, non ?
C’est exact même s’il ne faut pas oublier tout le travail qui a été effectué pour en arriver là. Ici, à l’Union, tous les astres se rejoignent, comme l’a encore prouvé le 3e but face au Cercle où on a eu beaucoup de chance même si la victoire était méritée. Ce qu’on vit depuis une saison et demie est juste incroyable, mais c’est aussi grâce à la qualité de mon groupe. Les messages passent bien, le noyau est très réceptif et intelligent. Et aujourd’hui, même si la folie de nos joueurs créatifs s’est quelque peu étiolée, on voit qu’on peut gagner différemment, en misant davantage sur la bataille, sur l’organisation. On est devenu l’équipe à battre et on en est conscient.
Après cette dernière saison en D1B où vous avez parfaitement assumé votre rôle de favori, le premier geste fort a été de garder 95 % de ce groupe : c’était un choix délibéré ou financier ?
Un peu des deux. Dans mon idée, en me rappelant de mon expérience à Charleroi, j’étais persuadé qu’il fallait garder le même noyau, de continuer à travailler avec les mêmes principes. Mais l’aspect financier a joué un rôle, bien sûr.
Pourtant, vu le peu d’expérience de la majorité de vos cadres, il y avait un risque, non ?
C’est clair mais le club a une très grosse qualité : sa manière de recruter en termes de datas est impressionnante. Elle a permis d’avoir ces joueurs-là, dont certains étaient inconnus et proviennent de D2 ou de D3, mais aussi d’anticiper le fait qu’ils seraient capables de continuer à progresser pour s’imposer en D1A. Leurs qualités ont été analysées 50.000 fois.
Aujourd’hui, il y a une « hype » rafraîchissante autour de l’Union. Elle vous étonne ?
Pas vraiment. Cette communion avec le public nous avait énormément manqué la saison dernière, et cela avait engendré pas mal de frustration auprès de nos fidèles supporters, qui sont revenus en masse dès le début de la saison. Après, comme on a rapidement obtenu de bons résultats, ça a attiré du monde par effet boule de neige. L’Union est un club historique avec un riche passé et il réunit aujourd’hui des anciens mais aussi ceux qui ont entendu les exploits du passé via leur père ou leur grand-père, plus tous ces étudiants qui aiment boire des pintes dans un esprit hyper positif. Samedi passé, quand on était menés 0-2, c’était incroyable de les entendre nous supporter comme ils l’ont fait. C’est une arme supplémentaire.
Alors qu’on ne parle que de violence, d’insultes ou de racisme dans les autres stades, on a un peu l’impression que le stade Marien est un endroit préservé de tous ces maux du foot. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense que c’est inscrit dans les gènes de notre public. Les supporters sont positifs, demandent qu’on arrête de critiquer les adversaires et continuent à nous encourager en toutes circonstances. Je me retrouve complètement dans ces valeurs essentielles.
On vous voit à nouveau gueuler dans le micro, faire la fête avec le public. L’Union serait donc, comme Charleroi, un club qui vous ressemble ?
Je n’ai pas envie de faire de comparaisons, ce qui voudrait dire que je ne suis fait que pour un seul type de club. Par contre, j’ai besoin d’avoir ce type de relation avec les gens qui viennent au stade. Je sors de ce milieu-là et quand j’étais étudiant, j’aimais la guindaille, je me mettais gueule-en-terre et je buvais mes chopes. Quand je vois ces jeunes qui chantent et qui dansent, ça me ressemble. J’ai envie de boire un verre avec eux et de sauter parce que je faisais cela il y a 35 ans à l’unif. Ça a été l’une de plus belles périodes de ma vie. Je ne joue pas de jeu, ça me ressemble. Je me sens bien de remplir ce rôle d’amuseur.
Beaucoup d’entraîneurs changent au fil des années, notamment parce qu’ils sont rongés par le stress. On se trompe ou ce n’est pas vraiment votre cas ?
Pourtant, c’est ce qui m’était arrivé à Genk et cela m’a servi de leçon. La conclusion, c’est qu’il faut apprendre de ses échecs même s’il ne faut pas les additionner dans ce métier. Si tu arrives à relativiser un échec exceptionnel et à faire la bonne analyse, cela peut devenir positif. Parce que c’est facile de vouloir se dédouaner en cas d’échec mais ce n’est jamais totalement de la faute des autres. Au lieu de ruminer, j’ai pris le temps de réfléchir. Ma conclusion, c’est qu’il fallait que je redevienne moi-même. En gros, il faut que je reste sérieux sans me prendre au sérieux !
Mine de rien, la pression s’intensifie avec cette première place, non ?
Honnêtement, le seul stress que j’ai, c’est de savoir si je fais le bon choix dans le onze de départ que j’aligne. Je ne fais pas ces choix uniquement au niveau de la qualité de mes joueurs mais aussi de leur attitude, de leur comportement, de leur mentalité, de l’équilibre de certaines paires. C’est une équation à multiples inconnues et je dois donner la bonne explication au joueur qui ne joue pas.
Qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur de cette incroyable saison ? La victoire à Anderlecht ?
Elle y a indéniablement participé mais je retiens plutôt toute la saison en D1B, qu’on avait débutée de manière assez moyenne avant de changer quelques détails après une défaite au RWDM. Le groupe a alors apprécié de vivre ensemble, cela a été fédérateur.
Jusqu’où peut aller cette Union ?
Je ne sais pas donner de réponse à cela. Il faut rester honnête et cohérent, le maintien est quasiment acquis. Ce qu’on aimerait aujourd’hui, c’est accéder au Top 8 : c’est un objectif très raisonnable, qui nous satisferait.
Cela ne démontre pas un manque d’ambition ?
Non. Regardez simplement notre noyau, nos finances : on ne peut décemment pas se permettre de se montrer aussi ambitieux que Bruges, Gand, l’Antwerp, Genk, Charleroi ou d’autres que j’oublie peut-être. L’objectif de départ, c’était le maintien. Parce que tout tourne bien, on devrait faire les malins ?
Si vous deviez retenir un point de satisfaction individuel de cette première partie de saison, quel serait-il ?
Si je dois sortir quelqu’un du lot, je dirais Anthony Moris. Pour tout ce qu’il apporte au groupe, mais aussi en raison de tout ce qu’il a traversé au Standard ou à Malines comme deuxième gardien, puis avec ses blessures qui l’ont forcé à descendre en D1 amateurs. Là, il est en train de récolter les fruits de son travail et de son obstination après avoir connu les pires emmerdes (sic). Aujourd’hui, il fait partie des meilleurs gardiens de D1A, s’il n’est pas le meilleur. C’est en tout cas à mes yeux, le meilleur dans le jeu au pied.
Vous êtes dans le milieu depuis de nombreuses années. Vous vous voyez continuer longtemps ?
On verra comment le monde du foot évolue. Je n’ai plus envie de revivre ce que j’ai vécu à la fin de mon passage à Charleroi. Je veux vivre heureux, savourer le moment présent. Il ne sert à rien de me dire que je mérite un grand club. Je suis très content où je suis et si une offre arrive, on l’analysera. Sinon, je ne vais pas me tirer une balle comme j’aurais pu le faire à une certaine époque. J’ai fait preuve de naïveté, j’écoutais trop ceux qui affirmaient que je pouvais gagner plus d’argent ailleurs, que j’étais prêt pour un plus grand défi. Aujourd’hui, je m’en fous complètement.
Vous n’avez plus de rêve, comme d’entraîner en Italie par exemple ?
Si, j’ai cette ambition-là, bien sûr, mais je n’en fais pas une fixation. Si demain la Juventus me téléphone, je ne vais pas dire non.
À terme, cela ne vous plairait pas d’être sélectionneur ?
Honnêtement, c’est la chose qui me ferait le plus plaisir !
Vous commencez à remplir de plus en plus de cases pour faire un candidat crédible…
Je pense en effet remplir certaines cases, pas toutes. Diriger un jour l’équipe nationale, ça trotte dans un coin de ma tête. Si je dois vraiment ambitionner quelque chose, ce serait cela. Le reste, peu importe. Ma maman est décédée, mon papa est tout seul, je dois gérer tout cela. Je vais vous faire une confidence : je commence à vieillir (NDLR : il a 55 ans) et j’ai peur de la mort.
Elle se matérialise comment ?
J’ai envie de faire plein de choses mais je prends conscience du temps qui passe. Dois-je encore crever comme un chien durant 20 ans dans le foot et ne rien faire d’autre ?
Au décès de votre maman, on a pu se rendre compte du lien très fort qui vous unissait avec ce groupe.
Oui, c’était un moment émotionnellement très fort qui restera gravé en moi. Rien que pour cela, ces joueurs auront toujours un grand respect de ma part par rapport à ce qu’ils ont fait pour moi. Ma maman représentait tout pour moi, c’était la mamma italienne à qui on pouvait tout demander. Ils sont fiers de moi mais aussi de ma sœur, qui est ingénieur ou de mon frère, qui est prof à l’ULB et qui ont tous deux eu un parcours encore meilleur que le mien.
À la remise du Trophée Goethals, vous êtes venu avec votre père…
Je voulais juste lui donner un moment de bonheur. Il a 88 ans et a passé un moment magique, cela faisait un siècle qu’il n’avait pas bu tant de bon vin, j’ai même dû le porter pour le ramener. Depuis le décès de ma maman, il y a quatre mois, c’est la première fois qu’il sortait réellement. Il a souri en voyant Merckx et Gerets, il a pleuré d’émotion, aussi. Il disait à tout le monde que c’était l’un des plus beaux jours de sa vie.
Quelles sont vos passions en dehors du foot ?
Elles sont simples : écouter de la musique italienne, partager un bon repas. J’aimais bien le ski, aussi, mais je n’en ai plus fait depuis 15 ans.
Vous avez un modèle en tant qu’entraîneur ?
J’ai toujours été impressionné par la manière dont Jurgen Klopp coache son équipe, dont il se comporte avec ses joueurs. J’ai eu l’occasion de le croiser avec Genk quand on avait joué contre Liverpool. Il est normal. J’ai croisé Ancelotti, pour qui j’avais aussi une énorme admiration. Lui m’a énormément déçu parce qu’il n’a pas engagé la moindre conversation avec moi, il m’a complètement dénigré alors que Klopp et moi avons eu plusieurs conversations sympas. Malgré leur victoire, il m’avait notamment dit « You fucked me tactically » (NDLR : tu m’as b… tactiquement). C’est un gars très simple, ça m’avait fort touché.