En cette fin de matinée ensoleillée, Nigel Pearson observe ses joueurs répéter les phases arrêtées. Sifflet à la bouche, le technicien donne le tempo pendant qu’autour, les engins de chantier s’affairent. Depuis le rachat d’OHL par King Power, le club a basculé dans une autre dimension et l’arrivée de l’ancien entraîneur de Leicester en est l’un des symboles.
Le natif de Nottingham, 54 ans depuis le mois d’août, qui ne cache pas sa fascination pour la Belgique. “Vu le nombre d’internationaux en Premier League, il doit y avoir quelque chose de positif dans le développement des jeunes ici”, dit-il. Le technicien a pris le temps de nous expliquer
les raisons de son arrivée à Louvain et nous l’a assuré : “Vous savez, je suis là depuis un peu plus d’un mois et j’ai déjà emménagé dans une maison. Je ne veux pas vivre dans ma valise.”
Nigel, question simple, mais que faites-vous ici ?
“Je prends du plaisir. (rires) C’est une opportunité qui s’est présentée de manière inattendue. Évidemment, je savais que King Power avait racheté un club en Belgique sans pour autant avoir de contact. Quand ils m’ont demandé si j’étais intéressé, je l’étais immédiatement parce que c’était quelque chose de différent. J’ai toujours voulu travailler à l’étranger et les opportunités sont rares. J’étais très ouvert à cette idée. Je voulais travailler dans un contexte positif et aussi en sachant que mes employeurs veulent bâtir quelque chose de durable. C’est ce qui était attrayant. Ils ont déjà fait comme cela en Angleterre. Ils auraient pu racheter un club de Premier League mais ils ont décidé d’opter pour un club de Championship . Je comprends que les gens s’interrogent,
se demandent pourquoi je suis ici. Mais je voulais vivre dans une autre culture. Même si nous ne sommes pas un grand club pour le moment, nous avons des infrastructures correctes, de bonnes fondations, un bon centre de formation, un bon staff, nous savons où nous sommes. Ce qui est important, c’est que nous essayons de faire grandir le club à une vitesse qui permet de construire quelque chose de durable.”
Votre arrivée est aussi surprenante que celle de King Power finalement…
“Ce sont des gens qui ont du succès dans les affaires et ils ont vu du potentiel ici. Pour eux, c’est un projet global intéressant pour se développer dans le temps.”
King Power vous a licencié à l’été 2015. Vous voir retravailler avec eux est également étonnant…
“J’ai été surpris qu’ils me contactent. Mais je suis ravi de retravailler avec eux. Nous avons fait de belles choses. Les circonstances ont fait que, sur la fin à Leicester, c’était difficile
mais il faut avancer. C’est la vie. Je ne vois pas l’intérêt de vivre dans le passé. Le football est un business où certaines choses arrivent et sont difficiles à encaisser personnellement. Il faut avancer. Quand vous êtes entraîneur, vous acceptez que vous allez perdre votre boulot à un moment donné. C’est juste une question de temps. Il faut être résistant mentalement. Après, je comprends que des gens ne comprennent pas mon choix de venir ici. Mais j’y suis. Et je veux faire partie de ce projet.”
Vos dirigeants vous ont-ils proposé de reprendre Leicester après le licenciement de Craig Shakespeare ?
“Non. Non, non. (fermement) On n’en a pas parlé. J’ai décidé de venir ici, je suis là pour construire quelque chose.”
Au moment de justifier votre choix, vous évoquiez le besoin de trouver quelque chose qui vous inspire…
“Oui. Ce boulot m’inspire. Quitter Leicester comme je l’ai fait, avoir une période creuse, partir à Derby où cela n’a pas marché pour différentes raisons… J’ai ressenti que je devais m’engager pleinement dans quelque chose. Il était très important pour moi que je comprenne ce que je voulais faire. C’était un travail d’introspection. Ici, je fais partie de quelque chose. La question, c’est de savoir ce que je peux apporter. Le football est une partie importante mais je suis fier de pouvoir dire qu’on veut construire quelque chose ici qui va rester. On travaille dans un domaine où le court terme règne. C’est assez rafraîchissant d’entendre des gens comme Marc Brys qui refusent de rejoindre Courtrai pour avancer dans leur projet. Cela vous donne une idée de ce que je veux ici.”
La Belgique n’était pas une terre inconnue pour Pearson. Le technicien était dans le staff de Newcastle lors de la double confrontation en Coupe de l’UEFA face à Zulte Waregem en 2006-2007. Son passage à la FA lui a aussi permis de se rendre plusieurs fois dans le Royaume. Qu’il prend plaisir à découvrir désormais. “Conduire à droite est toujours intéressant. (rires) J’ai déjà eu droit à des appels de phares avec ma voiture anglaise et je vais m’en acheter une ici. La ville est magnifique, je vis plus à la campagne, c’est très beau”, explique-t-il, tout en avouant ne pas avoir eu vraiment le temps de faire du tourisme.
“Quand vous commencez un nouveau boulot, il est très important de s’imprégner du contexte. Et je passe beaucoup de temps ici ou au stade. Excepté Ikea quelques fois et d’autres magasins, je n’ai pas eu beaucoup le temps de voir le reste du pays. (sourire)Mais je suis enchanté par la manière dont j’ai été accueilli. Le staff est très compétent, ses membres m’ont permis de vite m’adapter.”
“Nous y revoilà.”Nigel Pearson sourit, puis marque une pause, pas forcément enchanté à l’idée d’évoquer cette mésaventure qui a eu lieu dans une forêt roumaine il y a quelques années et qu’il a dévoilée sur Skysports dans un documentaire. La mésaventure en question ? Une attaque de chiens sauvages. “Ils étaient cinq et ce qu’ils font, c’est qu’il y en a qui vous attaquent pendant que les autres vous encerclent jusqu’à ce que vous tombiez pour vous mordre à la gorge”, avait expliqué l’Anglais à l’époque. La première fois, Pearson s’en sort grâce à des orties, les chiens sauvages détestant ces plantes.
À la seconde attaque, il n’a plus que ses bâtons de marche pour se défendre. “Je me suis adossé à un arbre. Je ne voulais pas être attaqué dans le dos”, explique-t-il. Avec le recul, lui l’avoue : “J’ai probablement fait l’erreur d’en parler mais j’ai toujours aimé les activités extérieures, c’est une manière pour moi de m’évader. Heureusement qu’en Belgique, il n’y a pas de chiens sauvages.”
Il réfute le terme dans un sourire. Mais fermement. “Parce que je suis à l’étranger, je suis un entraîneur anglais atypique ?” Puis répond à la question par une autre question, façon Jeopardy. “Mais qu’est-ce qu’un entraîneur anglais typique ?”, interroge Nigel Pearson, qui a toujours voulu s’expatrier.
Comment un entraîneur procède-t-il lorsqu’il débarque dans un club dont il ne connaît pas les joueurs ?
“Parfois, vous pensez connaître les joueurs et, en travaillant avec eux, vous découvrez qu’ils sont différents. Cela vous oblige à aller vers eux,
à apprendre à les connaître. Il faut gagner le respect des joueurs. Comme tout le monde. Les joueurs sont impressionnants d’humilité et de travail. C’est positif.”
Travaillez-vous de manière différente par rapport à l’Angleterre ?
“C’est une question d’alchimie. Les joueurs parlent une autre langue, c’est une chose. Mais le football reste universel même s’il y a des cultures différentes. Je ne peux pas dire que je me suis heurté à des différences culturelles car j’ai travaillé avec des groupes où il y avait beaucoup d’étrangers. J’ai appris de ces cultures différentes. Il faut être ouvert mais d’un autre côté, il faut aussi que la culture du club se diffuse dans le groupe.”
D’où vous vient cette envie de travailler à l’étranger ?
“Il y a plusieurs choses. Déjà, parce que j’aime voyager et que je voulais vivre quelque chose de différent. Nous n’avons pas assez de managers qui travaillent à l’étranger. En Angleterre, il
y a beaucoup de coachs étrangers mais nous n’avons pas forcément des managers qui font l’inverse.”
Pourquoi ?
“Je ne sais pas. Peut-être est-ce lié à la langue. Ou parce que nous étions un peu en retrait en termes de diplômes car cela n’a pas commencé avant le début des années 2000, nous avons mis du temps en tant que pays et fédération à nous aligner. Je me souviens que quand David Platt était à la Sampdoria, il n’avait pas été nommé officiellement entraîneur car il n’avait pas les diplômes italiens nécessaires. Après, il y a beaucoup de bons entraîneurs en Angleterre. Attention, je ne veux pas parler pour eux, je ne veux pas généraliser mais je voulais vivre dans une culture différente. Cela vous fait réexaminer qui vous êtes, votre méthode, votre communication car vous devez trouver d’autres manières de communiquer, utiliser votre staff différemment.”
Le phénomène touche aussi les joueurs…
“Oui. Il y a de nombreuses raisons. La Premier League est un produit global formidable, les joueurs veulent y évoluer. D’un point de vue linguistique, pour généraliser, ma génération n’est pas extraordinaire. Maintenant, les plus jeunes parlent plusieurs langues. Et nous sommes une île. Nous avons cette mentalité insulaire, c’est culturel. Est-ce que ce serait bénéfique de plus s’expatrier ? Probablement pour nos meilleurs joueurs. Qu’importe. Je ne peux pas parler pour les autres. Ce sont des spéculations. Je peux juste donner mon point de vue.”
Gary Martin, l’ancien attaquant de Lokeren, nous avait livré le sien en début d’année, mettant en avant une forme d’étroitesse d’esprit…
“Il est toujours dangereux de généraliser. Le concernant, cela vient sans doute de son parcours. Historiquement, le fait que nous n’ayons pas beaucoup de joueurs à l’étranger est aussi lié aux salaires de nos joueurs. J’ai évolué avec de nombreux joueurs qui en avaient l’opportunité mais peut-être que nous sommes moins ouverts aux changements et peut-être que beaucoup de gens n’y ont même pas songé. Tout simplement. Cette fermeture d’esprit vient peut-être plus de là, pas du fait de ne pas vouloir s’expatrier mais simplement d’y réfléchir, de se dire que l’opportunité existe et qu’elle peut être bénéfique. Après, c’est plus facile quand vous êtes plus vieux d’avoir ce type de raisonnement philosophique. (sourire) Mais quand vous êtes jeune, que vous êtes au début de votre carrière, les joueurs veulent jouer, c’est tout.”