Rencontre avec Will Still, 25 ans depuis deux semaines, le plus jeune entraîneur professionnel de Belgique
Division 1B
Resté seul au centre d’entraînement pour peaufiner la préparation du match du week-end à Westerlo, Will Still nous accueille en toute décontraction dans le « spelershome » du Lierse. Depuis trois semaines, ce jeune homme qui vient de fêter son quart de siècle (le 14 octobre)
fait la Une des médias parce qu’il est devenu un phénomène de précocité dans la corporation des entraîneurs belges. Toujours actif en P2 à Rixensart (« où je joue avec mes potes, ce qui me permet de reste en phase avec une autre réalité») ainsi qu’en futsal, ce jeune homme originaire de Grez-Doiceau a accepté de se dévoiler longuement.
Will Still, pouvez-vous d’abord raconter votre parcours de vie ?
Mes deux parents viennent d’Angleterre, où mes deux sœurs aînées ont vu le jour. Pour le boulot de mon père, ils se sont ensuite installés dans le Brabant wallon où moi et mes deux autres frères sommes nés et avons grandi. J’ai toujours été à l’école en français mais on parlait en anglais à la maison. Quant au foot, j’y ai joué au foot dans des clubs néerlandophones, ce qui explique une certaine facilité avec les langues.
Vous n’avez jamais joué au plus haut niveau. Parce que vous n’en aviez pas la possibilité ou l’envie ?
Comme tous les gamins qui pratiquent ce sport, j’ai nourri ce rêve. Après mes
études secondaires, je jouais au Tempo Overijse, en Promotion. Je suis alors parti une année en Angleterre, du côté de Preston, afin de suivre un Bac de coaching en football qui n’existe pas ici. En plus, cela me permettait de disputer le championnat des collèges, qui était d’un excellent niveau. On s’entraînait le matin et l’après-midi, on avait des cours diversifiés, qui allaient du marketing du football à la psychologie sportive en passant par le développement de talents.
Vous aviez déjà l’envie d’entraîner ?
Je me rendais surtout compte qu’il fallait que je ne ferme aucune porte. Quand je suis rentré en Belgique, j’ai passé deux mois en test à Mons, qui était encore en D1. Malheureusement, cela n’a pas débouché sur un contrat et c’est à ce moment que je me suis dit que je n’aurais jamais le talent ou le brin de chance nécessaires pour devenir pro. A l’époque, je me disais que c’était parce que les gens ne m’aimaient pas. Avec le recul, je me dis que je n’avais peut-être pas le talent nécessaire. J’ai encore essayé à Malines, sans succès.
C’est à ce moment-là que vous prenez
contact avec Yannick Ferrera. Comment et avec quelles intentions ?
Je l’avais croisé deux, trois fois à Saint-Trond, un club où j’avais joué chez les jeunes et que je supportais. Je connaissais bien le psychologue qui travaillait pour Roland Duchâtelet et je lui ai demandé de m’arranger un rendez-vous avec Yannick.
C’était audacieux tout de même…
Je me suis fait dessus, si vous me passez l’expression. J’avais 20 ans ! Je lui ai dit ce que je savais faire. Etonnamment, il m’a dit qu’il avait besoin d’un analyste vidéo, notamment pour préparer le premier match de la saison face à Virton. On avait bossé sur cela à l’école anglaise et à la maison, avec mes deux frères, on regardait les matches de manière analytique. J’ai donné ma vie dans cette analyse et on a eu la chance de l’emporter 3-0. Le problème, c’est que le club était en D2 et n’avait pas les moyens de m’offrir un contrat. Yannick a alors accepté de me payer de sa poche. Pas grand-chose mais l’essence, certains repas. Cela a duré six mois avant que le club m’offre un premier contrat
pro. C’était un contrat basique de chez basique mais c’était déjà le rêve.
La saison suivante, Ferrera est rapidement recruté par le Standard…
Oui, c’était fou. J’étais déjà super content pour lui mais quand il m’a demandé de l’accompagner, c’était juste dingue. Au Standard, j’étais son assistant en plus d’être analyste vidéo, comme lui l’avait fait pour Preud’homme à Gand puis à Al-Shabab. On voyait cela comme de l’analyse moderne. Je n’étais nullement confiné dans un bureau, il fallait que je sois proche de lui, qu’on parle le même langage. On a manqué les Playoffs 1 de peu mais remporté la Coupe de Belgique.
Début septembre, Ferrera est viré et vous avec : impossible de rester ?
Non, même si certaines personnes auraient aimé que je continue l’aventure. A ce moment-là, j’ai vécu quelques mois difficiles mentalement parce que Yannick avait retrouvé de l’embauche à Malines mais n’a pas pu me prendre dans son staff, officiellement pour des raisons budgétaires. En plus, mon frère aîné, que j’avais placé à Saint-Trond
pour reprendre ma fonction d’analyste, avait du boulot. Je passais d’une fonction où je bossais 24 heures sur 24 à une inactivité à peine égayée par l’analyse de nombreux matches. Sans but réel.
C’est à ce moment-là que le Lierse frappe à votre porte ?
Je leur avais envoyé mes références, comme à beaucoup d’autres clubs mais c’est Patrick Nys qui m’a appelé, parce qu’on avait bossé ensemble à Saint-Trond. A ce moment, j’avais aussi une possibilité pour aller en MLS, à Colombus Crew. Ce choix fut difficile à prendre mais j’ai préféré privilégier la Belgique.
Comment êtes-vous devenu T1 ?
Par hasard, sans que je le demande. Au retour d’un match à Roulers, Frédéric Vanderbiest a préféré jeter l’éponge, parce qu’il était au bout du rouleau, émotionnellement et physiquement. Le soir-même, le président m’a appelé pour me proposer le poste. Je lui ai dit que je ne me sentais pas encore prêt. Ce n’est pas que je n’ai pas envie de faire ce métier à moyen terme mais je dois encore énormément apprendre
comme coach, comme être humain. En outre, je n’ai pas la licence pro, je dois passer mon diplôme UEFA B.
Maged Samy ne voulait pas recruter un coach expérimenté vu ses intentions clairement affichées de revendre le club ?
Voilà. Il veut laisser au futur président le soin de choisir son homme fort. Du coup, il me laisse les coudées franches jusqu’à la fin de la première tranche. Après ? On verra, je ne me pose pas ce genre de questions.
Dans le groupe, il y a une bonne dizaine de joueurs plus âgés que vous. Cela ne vous pose pas de problèmes ?
Non, parce qu’ils me connaissent déjà, savent que je ne suis pas ici pour faire le malin mais aussi parce que justement, on se comprend bien. Il y a une certaine distance qui s’installe mais le groupe le comprend parfaitement. Parfois, ils me chambrent sur le fait que je n’ai pas de passé de professionnel mais cela reste gentil.
On a vu dans un reportage
que vous pouviez user de termes très crus pour les motiver…
On m’en parle beaucoup, parce que j’ai utilisé des mots inacceptables dans un contexte différent d’un vestiaire. Mais tous ceux qui ont joué au foot savent que c’est « normal », habituel. Après une première mi-temps catastrophique à l’Union, il fallait que je les réveille, que je touche leur orgueil. Cela a fonctionné même si cela a donné de moi une image négative, de garçon mal élevé, ce que je ne suis pas.
Vous avez déjà affronté Marc Grosjean puis Frankie Vercauteren. Cela vous a impressionné ?
J’ai beaucoup de respect pour eux mais une fois que le match commence, j’essaie d’oublier qui se trouve en face. Vercauteren était fâché après le match parce que je n’avais pas rendu un ballon qui était passé devant moi à la 93 e . Je lui ai expliqué après coup que je n’allais pas non plus courir après un ballon alors qu’on menait 3-2. Je ne veux pas passer pour quelqu’un d’arrogant mais je pense qu’il aurait fait la même chose à ma place.Le nom de Julien Nagelsmann, cela vous dit quelque chose ? Bien sûr, c’est l’entraîneur d’Hoffenheim, qui a débuté à 28 ans. C’est une source de motivation et d’inspiration pour tout jeune entraîneur. Pour moi, l’âge n’est qu’un chiffre à partir du moment où ton message est accepté et passe bien.Vous avez des modèles en tant qu’entraîneur ? Quand je n’étais pas encore dans le milieu, c’était Mourinho, comme tout le monde. Et puis il y a Yannick Ferrera, bien sûr. Pour sa précocité et la manière avec laquelle il prépare ses matches et fait passer son message. Il a été important pour mon développement. Ce qui est étonnant, c’est que vous deux frères sont aussi dans le métier… Oui. Edward a quitté Saint-Trond pour accompagner Leko à Bruges tandis que le plus jeune, Nicolas, a suivi le chemin familial en devenant analyste vidéo à Saint-Trond. Souvent, ils me chambrent parce qu’ils sont premiers et deuxièmes en D1A alors que je ne suis qu’avant-dernier en D1B…