Ce n’est pas cette brave Amélie Van Beneden, alias Madame Chapeau, qui nous démentira. Les explications entre le Daring (matricule 2 rayé des tablettes fédérales depuis plus de quarante ans) et l’Union Saint-Gilloise (matricule 10) valaient assurément leur pesant de zwanze, de bière et de caricole.
À tout jamais enfoui dans la mémoire collective, ce clasico brusseleir, les plus anciens se plaisent à le ressusciter de temps à autre au détour d’un comptoir et sa caricature théâtrale (Bossemans et Coppenolle) continue à faire épisodiquement recette.
Cela dit, que ce soit sous les frondaisons du Parc Duden ou dans les travées du Stade Bossaert, la rivalité opposant les ketjes de Saint-Gilles à ceux de Molenbeek
par coups de gueule interposés restait toujours dans les limites de la bienséance. Junior unioniste à la fin des Golden Sixties, Robert De Pot s’en rappelle bien: “Les supporters des deux clans se charriaient à qui mieux mieux mais c’était toujours bon enfant. Quant aux joueurs, ils se connaissaient en dehors des terrains car ils fréquentaient les mêmes dancings !”
La culbute du Daring en D2, en 1969, mettra un terme à cette savoureuse saga bruxelloise. Saga qui avait atteint son pic de popularité dans les années trente, lorsque l’Union n’en finissait plus d’être invincible (trois titres de rang en 1933, 34 et 35), avant que le Daring ne supplante son rival et voisin au palmarès de l’élite belge (champion en 1936 et 1937).
Relégués en D2 en 1939, les Rouge et Noir devront alors patienter une douzaine d’années avant d’en découdre à nouveau avec les Saint-Gillois, pas à l’abri eux non plus d’une descente, comme en 1949.
Vingt ans après aura donc lieu la toute dernière édition de ce derby à laquelle participa Jacques Teugels. Champion avec Anderlecht la saison précédente, l’Ixellois alors âgé de 22 ans fera souvent sourire l’Union trois saisons durant. Son côté Speedy et sa dégaine façon Lucky Luke, Dynamite Jackdevra cependant les laisser au vestiaire en ce 26 janvier 1969. Pour son adversaire qui se trouve au bord du gouffre, Teugels est l’ennemi public numéro un qu’il faut empêcher à tout prix d’armer sa frappe en zone de conclusion.
Pour l’avoir eu sous ses ordres peu de temps avant au Sporting d’Anderlecht, l’entraîneur du Daring, Andras Beres, sait de quel bois brûlant le jeune buteur de l’Union est capable de se chauffer. Le coach hongrois décide dès lors de sacrifier un de ses meilleurs éléments, en l’occurrence l’Anglais Brian Etheridge, commis à la garde de l’ami Jacky. Le message du Magyar est clair : interdiction absolue pour celui qui avait ouvert
le score à l’aller de lâcher Teugels, ne fût-ce que d’une demi-semelle. Un marquage à la culotte à propos duquel Jean-Claude Broché, notre ancien confrère au journal Les Sports, prit plaisir à disserter au lendemain de cette rencontre disputée à dix contre dix.
Tout jeune septuagénaire, Jacques Teugels se souvient également de cette après-midi où il eut à supporter l’obsédante présence de son bodyguard britannique. “En seconde période, j’avais fait mine de rentrer au vestiaire pour savoir jusqu’où mon garde-chiourme pousserait le bouchon. Eh bien, il m’a attendu sur le bord de la touche, le temps que je remonte au jeu ! Pour tout vous dire, je n’étais libre de mes mouvements que lorsque je bottais un corner. Il était obligé de se positionner à neuf mètres quinze (rires).”
La peur de perdre ne libérera pas la prise de risques, surtout du côté du Daring où l’attaquant suédois Ingvar Svahn, livré à lui-même, ne reçut pratiquement aucun ballon négociable.
Teugels, lui, hormis sur phase arrêtée, ne put que rarement échapper à la sollicitude parfois musclée de Etheridge. Comme à la 29e minute, quand il délivra un coup franc en forme de missile que le gardien François Cuypers repoussa tant bien que mal. Bref, un dimanche merdique pour Jacky qui ne finira d’ailleurs pas le match. Blessé dans un duel rendu rugueux avec Julien Wouters, il quittera les siens clopin-clopant : “Et à l’aller, c’est Roland Beelen qui m’avait meurtri le mollet”, souligne-t-il.
En quittant le Stade Bossaert, les quinze mille spectateurs présents ne savaient pas encore qu’ils venaient de vivre le tout dernier épisode de ce derby tof, définitivement passé à la postérité.
L’Histoire retiendra aussi la date du
10 février 1935, jour où le Daring mit fin à l’interminable série de matches sans défaite de l’Union (soixante) entamée le 8 janvier 1933 par un modeste nul à domicile face au Lierse (2-2). Les Jaune et Bleu ne savaient pas non plus qu’ils aligneraient autant de performances dont les plus pantagruéliques furent signées face à d’autres formations bruxelloises également disparues. On veut parler du Racing ratiboisé 1-10 au Stade des Trois Tilleuls en mars 1934 et du White Star laminé 10-3 à Saint-Gilles en décembre 1934.
Lors du match aller, Etheridge avait pu laisser libre cours à son instinct de buteur en ouvrant le score. Foot100
L’Union 1968-69. Debout: Gérard, Schraepen, Deprez, Arnold, Zalamena, Gorissen. Accroupis: Verleysen, Geldhof, Lauwers, Teugels, Storme.Nostalgie Football Belge
Le Daring 1968-69. Debou t : Coclet, Cuypers, Coppens, Wouters, De Vlegelaer, Van Cappellen Accroupis
: De Schutter, Randoux, Etheridge, Foulon, Svahn.Nostalgie Football Belge
Jean-Claude Broché n’avait pas encore huit ans quand son paternel eut la bonne idée de l’emmener au Parc Duden. Il raconte : “J’étais privé de cette initiation bimensuelle dans trois cas : un mauvais bulletin, un match Union-Anderlecht ou un Union-Daring car il y avait trop de monde et mon père décrétait que j’irais au cinéma avec maman.”
Il garde aussi précieusement dans un coin de sa mémoire les après-matches chez Verschueren, une brasserie mythique située au parvis de Saint-Gilles : “Un des trois patrons, trois frères, hissait sur un gigantesque tableau des plaquettes
avec les résultats de la soixantaine de rencontres des huit divisions supérieures. On les commentait en attendant l’édition dominicale du quotidien Les Sports dont je fis partie bien après.”
De fait, Jean-Claude Broché décrivit joliment le calvaire dominical vécu par Teugels : “Son alter ego Etheridge lui colla, en effet, aux chausses de manière telle que le plus fin tacticien du basket n’aurait pas fait mieux. Nous craignons fort pour Teugels l’apparition de très graves troubles psychiques… Dans les jours à venir, Jacques ne cessera de se retourner, dans la rue, dans son living, aux toilettes ou dans son lit, en percevant sans cesse comme une fantômatique présence dans son dos. Un peu à l’instar des héros malheureux de Jean Ray que de telles aventures mènent souvent au cabanon ! Elles n’ont heureusement conduit Jacques qu’à… l’infirmerie, suite à un dur contact avec Wouters, à deux minutes de la fin.”
Son collègue, Marcel De Leener, confirma ces propos dans le compte-rendu proprement dit : “Teugels a effectué une petite expérience instructive en 1re mi-temps. Il sortit carrément du terrain, juste devant la grande tribune… Etheridge attendit patiemment qu’il revint au jeu sans plus s’occuper du tout de la phase de jeu qui se déroulait à proximité.”
Etheridge et Teugels lors de ce fameux derby Daring-Union où le premier marquait le deuxième de près.foot 100